blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

lundi 14 juin 2010

Un indice non verbal original, la variation pupillaire: évolution des recherches


Parmi les indices non verbaux relativement méconnus , le comportement de l'oeil et spécialement de la taille de la pupille mérite un petit détour. Certains chercheurs restent assez sceptiques à propos des qualités indicielles de la pupille , peut être en raison de l'aspect 'stimulus-réponse’ d'études marketing orientées sur la motivation sensorielle . Celles-ci proposent que l'oeil peut réagir subtilement à des stimuli sonores ou visuels; les tests ont par exemple consisté à faire écouter des cris d'enfants ou des musiques différentes à des sujets , à leur présenter des photos de plats appétissants, de personnes appréciées ou détestées , de scènes macabres, des œuvres d'art ,etc. Un aspect controversé est d'envisager que les affects agréables déclencheraient une dilatation et les affects désagréables une contraction (Hess & Polt 1964). Dans d'autres cas l'expérience négligeait le fait que l'intensité lumineuse ou colorimétrique d'une diapositive peut exercer un biais sur la variation pupillaire.

Actuellement un corpus considérable de travaux est disponible qui permet de revisiter les expériences des années 80, assisté par des méthodes de mesures sophistiquées telles que le pistage oculaire et particulièrement orienté autour de la notion d'effort cognitif . Dans le domaine linguistique, on a pu observer que la réponse pupillaire était différente selon que le sujet décodait des mots concrets ou abstraits. Beattie (1982) observait que les constructions complexes engendrent une dilatation de la pupilles . Lors de tests de traduction lexicale Honya et al (1995) constatent que les mots les plus difficiles à traduire induisent la même réaction . Le simple fait de s'exprimer dans une langue étrangère, engendre (sauf maitrise linguistique parfaite) le même phénomène .

Une grande variété de tests menés suggèrent que la discontinuité de la taille de la pupille reflète des niveaux d'intensité de traitement de l'information lors de taches de résolution de problèmes, de calcul, de tri, de partage d'attention et complexité . Bailey et Iqbal (2008) ont décomposé l'intensité du phénomène en fonction de la hiérarchie de tâches et sous-taches bureautiques . Oliveira et Russell (2009) rapportent que la pupille se dilate lorsque des internautes découvrent une information pertinente (valeur informationnelle du stimulus élevée) . Hypothèse un peu similaire dans l'expérience de Min Jeong Kang (2008), qui remarque cette même réponse physiologique lorsque des sujets attendent impatiemment la bonne réponse en jouant à à un quiz . Un autre chercheur, Muldner ('2009) utilise d'ailleurs l'indice pupillaire comme indicateur de motivation et satisfaction en apprentissage à distance . Une série d'études avec de l'eye tracking montrent la possibilité d'intégrer l'indice dans un ensemble plus étendu de paramètres relatifs aux mouvements des yeux et plus classiquement étudiés tels que les saccades oculaires , la direction des rotations de l'oeil , la fréquence des clignements , l'abaissement de la paupière supérieure . La mesure de charge cognitive reflétée dans les indices oculaires , permet de décomposer la répartition d'attention . Lors de simulations de conduite , Palinko (2010) remarque que quand le pilote discute en même temps qu'il conduit , la pupille marque des pics d'amplitude au moment du processus de recherche des mots (effort sémantique) .


Une autre voie qu'il serait intéressant d'approfondir est l'apport de l'indice pupillaire à l'intérieur du faisceau de signes corporels et vocaux alloués à la détection du mensonge . Pour mentionner une seule étude Webb & al (2009) ont élaboré l'expérience originale suivante : les sujets avaient reçu comme instruction de voler une petite somme dans le sac à main d'un secrétaire, et de profiter du crédit de connexion d'une ne leur appartenant pas. Ensuite ils devaient essuyer un questionnaire, et on leur promettait une prime s'ils parvenaient à être crédibles , étant prévenus du fait que s'ils voulaient apparaitre de bonne foi il vaudrait mieux répondre le plus rapidement et précisément possible.. . Ainsi placés "sous pression" les sujets révélaient à l'eye tracking des variations d'amplitude pupillaire significatives.



Que pensent de tout ceci les neuropsychologues ? Par l'intermédiaire de l'indice TEPR (task-evoked pupillary response) ils relient cette réaction physiologique au fonctionnement du locus coreulus (région cérébrale ayant partie liée avec le "stress"(Gilzenrat 2003) . De nombreux travaux ont été menés sur des sujets cliniques , on sait également que la a pupille se dilate en réponse à des situations émotionnelles telles que la prise de drogues, de médicaments, la peur, la douleur ... Certaines mesures (Just 1996) ont montré des corrélations entre le TEPR et l'indice PET (imagerie cérébrale) lors de l'activation des structures linguistiques du cerveau (aires de Broca et Wernicke) . D'autres expériences ont montré des liaisons entre le TEPR et des indices comme le rythme cardiaque ou encore la conductivité de la peau, ainsi LIN ( 2008 ) a étudié les réactions pupillaires à un jeu vidéo . Egalement Siegle (2003) a compare les temps de dilatation pupillaire avec celui du signal IRM dans le gyrus frontal moyen lors d'une tache de calcul mental. La variation pupillaire est néanmoins assez complexe à mesurer car elle procède d'un délai plus élevé de réponse au signal (quelques millisecondes) que d'autres indices physiologiques . A noter que cette réaction de constriction/dilatation est de l'ordre de quelques dixièmes de millimètres, donc observable en laboratoire .

Une conférence très intéressante s'est tenue récemment sur le thème Eye tracking Emotion-Arousal - Pupil Dilatation (Uppsala, 27,28 mai 2010) . Les résultats de recherche montrent notamment, que la variation pupillaire relève d'une sémiologie corporelle constatable dès la petite enfance. Dans une étude des nourrissons de 4 mois et davantage, réagissaient à la pupillométrie lorsqu'on approchait de leur bouche une cuillerée alimentaire . Dans une autre expérience on présentait des clips d'acteurs manifestant des émotions, et on obtenait des dilatations pupillaires de la part des nourrirons âgés de 14 mois minimum... . Le prochain évènement scientifique sur ce sujet est la conférence qui aura lieu les 14 et 15 octobre à Lisbonne sur le thème: Eye tracking, Visual Cognition and Emotion. Tous ces travaux sont à suivre avec intérêt, ils participent d'approches originales dans le champ de la communication non verbale et multimodale qui questionnent les fonctionnements cognitifs, mais rompent un petit peu avec les approches de type robot .

Quelques références (lien)