blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

mardi 31 janvier 2012

le geste graphique, une autre 'cognition incarnée '

L’écriture  en tant que geste graphomoteur , reste un domaine assez peu  abordé par les chercheurs et spécialistes en  CNV . Ceci peut s’expliquer en partie par les  controverses  sur la graphologie, suscitées par son utilisation en recrutement  avec en contrepartie un faible apport en preuves empiriques, et des niveaux d’expertise extrêmement  variables des graphologues   . Un autre champ , à côté duquel il serait dommage de passer à cause de cette difficulté , c’est celui de l’écriture prise comme indice de la corporéité dans le contexte clinique . Les méthodes formelles   d’observation qui ont été apportées par les tablettes digitales, permettent d’extraire  des paramètres statistiquement homogènes .
L’écriture suscite ici un intérêt expérimental et diagnostic  car le geste qui l’accomplit résulte de programmes moteurs associés à des compétences cognitives  , plus ou moins intactes,  et d’autre part ce geste , qui est expressif, peut signifier des tensions .

Sans aller jusqu’à la considérer comme un miroir infaillible de l’âme, l’écriture se comporte comme   un indice du corps en mouvement  et elle semble d’ailleurs varier en fonction de nos horloges biologiques : lors d’ une étude portant sur des cycles journaliers  la vitesse oscillatoire de  l'écriture reflétait des variations  de 3,92 hz à 4,58 Hz selon les horaires auxquels écrivaient les scripteurs .  A un niveau plus alertant des changements dans l’écriture peuvent être précurseurs de problèmes neurologiques.  A travers la notion générique de lisibilité, qui reflète l’ensemble des habiletés cognitives et motrices nécessaires à la « bonne structure graphique » on retrouve dans les tests, des niveaux de dégradation de la planification motrice .  En effet l'organisation de l'écriture  suppose la synergie de mouvements balistiques d'accélération et de freinage, soit des contrôles fins  et ajustements kinesthésiques liés à une organisation somato-tonique spécifique à chacun.   

Avec la maladie de Parkinson  l’écriture peut montrer des changements de direction incohérents, des fluctuations par rapport à a la ligne de base, des ralentissements, hésitations, tremblements et micrographies (les lettres sont de plus en plus serrées et de plus en plus petites,  l’écriture s’aparente à un simple trait irrégulier et oscillant) . Ces difficultés à coordonner la flexion du poignet et les mouvements des doigts sont liés à un dysfonctionnement des noyaux gris centraux .  Les patients Alzheimer montrent des irrégularités de mouvements ou d’alignement , des dérives en sinusoïde par rapport à la  ligne de base, un affaiblissement de la pression, des levers de plume plus fréquents, des délais gestuels plus longs .

L’écriture du sujet dépressif  reflète étroitement son  ralentissement psychomoteur plus général (gestes lents,  parole ralentie, délai cognitif, monotonie  ) les tracés sont beaucoup plus lents, avec des phases d’arrêt accompagnés de nombreuses réinspections visuelles sur la feuille . On dispose de diverses études notamment celle de Rosenblum (université d’Haifa) qui estime que la fidélité du diagnostic procurée par les critères de spatio-temporels de l’écriture du dépressif et sa pression sur l’instrument, avoisine 82% . Parmi d’autres pathologies  les sujets atteints de troubles obsessionnels compulsifs, démontrent  de faibles compétences d’automatisation de l’écriture , des pics d’accélérations du stylet plus faibles et des irrégularités très visibles dans ces séquences d’accélération. La valeur diagnostique de l’écriture peut même porter sur l’efficacité d’un traitement  ou ses effets secondaires, ainsi il a été montré que certaines générations d’antidépresseurs induisaient  des inversions des patterns de vitesse et des pertes d’automatismes graphiques.

En dehors des pathologies les modifications de l’écriture ont été testées en contexte émotionnel ou de stress, de mensonge, etc .  On retrouve dans cette trace  des décharges motrices significatives, des "actes manqués" , des marques différentielles de tonicité,  d'expansivité, de crispation , de rythme, désynchronisation ... En effet le mouvement oscillatoire résulte d’une orchestration corporelle dans lequelle  sont impliqués les épaules, le coude, le poignet, les doigts , le buste, la nuque  … parfois même les jambes du scripteur.

Pour ne citer qu’une étude récente au Japon  des étudiants devaient répondre par écrit à des questions à forte charge cognitive, la tâche d’écrire était donc étroitement entremêlée avec la réflexion . Les profils d'accélérations (couplées à des freinages et nécessaires à l’exécution de traits et courbes), étaient statistiquement plus irrégulièrs lors des questions classées les plus difficiles . On relève également une large variété d’études sur l’écriture en situation d’alcoolémie, celle des personnalités suicidaires , etc... Dans la mesure où elle n’affiche pas pour ambition de mesurer la personnalité , la cinématique de l’écriture offre des moyens d’investigation supplémentaires à l’analyse du geste, une trace facilement archivable et quantifiable qui témoigne inconstablement d’une inscription corporelle de l’esprit ou « cognition incarnée »  .

note de l'auteur: les liens vers les références sélectionnés sont par défaut d'un gris moins intense dans ce modèle de page sous Google blogger ; j'ai ajouté des italiques pour mieux les visualiser.