blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

samedi 14 avril 2012

Le dernier ouvrage de Geneviève Calbris, Elements of Meaning in Gesture




Geneviève Calbris dont les travaux  figurent parmi les premières contributions essentielles à la  sémiotique des gestes en situation conversationnelle, a bien voulu nous présenter son dernier ouvrage Elements of Meaning in Gesture. Ce dernier apporte une mise en perspective théorique originale à la compréhension des processus qui font du geste en tant que système symbolique une médiation entre la pensée et la parole , grâce à des liens analogiques subtils qui se tissent entre notre expérience kinestésique du réel et l’abstraction du langage .

Comment peut on identifier le signe gestuel  ? Étudier le signe gestuel coverbal se révèle complexe car on a affaire à une multiplicité de canaux au sein de la communication orale, à une multiplicité de données kinésiques au sein du canal gestuel, à une multiplicité de fonctions exercées par le geste et, au sein de la fonction référentielle, à une multiplicité de référents possibles pour un même geste.

Comment les divers canaux sensoriels se répartissent-ils les diverses fonctions de la communication ? Le locuteur produit des informations visuelles, statiques et dynamiques, d’une part, et des informations sonores, verbales et vocales, d’autre part. Le ‘trio parolier’ (geste-voix-verbe) se décompose pour se réassocier en binômes différents selon les tâches à accomplir. Associé à la voix, le geste assure la segmentation de la chaîne verbale ainsi que la fonction expressive tandis qu’associé au verbe, il assure la fonction référentielle.
L’ouvrage insite sur la spécificité du signe gestuel dont il étudie le fonctionement symbolique. Il s’agit d’abord de dégager la signification du geste dans son contexte, c’est-à-dire le référent gestuel coverbal, une entité hybride, pour ensuite déterminer l’apport spécifique du geste (signe gestuel) en recherchant sa motivation (lien analogique) et la raison de cette motivation (une physique symbolique).

A présent qu'en est-il de la motivation du signe gestuel ?  Les étapes de la démarche systémique dans la recherche du lien analogique exigent (1) du côté physique, la détermination et le codage des composants physiques des gestes, (2) du côté sémantique, l’élucidation contextuelle de leur signification, (3) la constitution de répertoires de gestes coverbaux par composant gestuel, ce qui permet au sein de chaque répertoire, une comparaison interne sur les deux plans, l’élément commun au plan physique étant censé représenter l’élément commun au plan sémantique, à savoir la notion commune. Autrement dit, le lien analogique se déduit de la comparaison des variantes gestuelles d’une même notion. Enfin, quatrième et dernière étape, la comparaison entre les répertoires constitués permet ensuite de dégager la signification des éléments physiques différents et secondaires, initialement écartés au sein de chaque répertoire.
La démarche méthodologique adoptée qui consiste à rechercher le lien analogique via la comparaison des variantes gestuelles d’une notion, permet d’élucider les divers cas rencontrés: elle explique la possibilité pour un geste de présenter plusieurs liens analogiques successifs (polysémie) ou simultanés (polysigne). Bref, le geste apparaît comme une unité composite constituée d’éléments physiques non seulement pertinents, mais potentiellement porteurs de sens que le contexte vient activer de façon sélective.
Les éléments du jeu de mécano symbolique sont les liens analogiques, i.e. des figurations symboliques assurées, selon les besoins, par des aspects physiques fort divers. La figuration symbolique se fait de façon très variée car s'il arrive qu'un seul lien s'exprime dans un ensemble facio-gestuel, à l'inverse, deux liens peuvent s'exprimer au sein d'un composant gestuel!

Quelles sont les origines de la motivation du signe gestuel ?  La démarche analytique adoptée révèle que la signification propre du geste dérive de ses fonctions dans la vie courante ou reproduit de façon stylisée des éléments de notre expérience perceptivo-motrice qui sont à la base de notre conception de l’abstrait. Primaire et ambiguë, cette expression symbolique est précisée par le contexte. Celui-ci sélectionne une des potentialités symboliques du geste révélées par l’analyse sémiologique de ses emplois contextuels

Peut on parler de schème préconceptuel ? L’étude des gestes, de coupure par exemple, relevés dans des bribes de conversation tirées de corpus volontairement diversifiés, démontre comment le geste exprime le percept à la base du concept. Le geste est le produit d'une abstraction perceptive faite de la réalité. Il représente un schème préconceptuel, intermédiaire entre le concret et l'abstrait, ce qui lui permet d’évoquer aussi bien l'un que l'autre. Le geste figure le schème opératoire visuel et proprioceptif et, à travers lui, les deux extrêmes du continuum sémantique allant du concret à l'abstrait: le tronçonnage d’un objet réel de même que le travail d’analyse.

Quelle est la fonction du signe gestuel dans l’énoncé ? Tout fonctionne comme si l'information verbale venait activer et sélectionner l'une des significations éventuelles du geste découlant de l'un ou l'autre de ses composants physico-symboliques. On parle alors de référent gestuel coverbal interprété en fonction de l'énoncé. Puis ce référent gestuel coverbal va interagir avec le référent verbal, l'anticiper, le préciser, le compléter.

Le signe gestuel anticipe-t-il le  langage ? Des exemples montrent que, souvent, le contenu mental est gestuellement exprimé avant de l'être verbalement. Autrement dit, les unités temporelles restent synchrones, mais la gestualisation et la verbalisation du contenu mental se répartissent sur deux unités temporelles décalées, le geste assurant une fonction énonciative pour le locuteur et éventuellement prédictive pour l'auditeur, qui recevra dans la deuxième unité une confirmation verbale de l'information gestuelle émise dans la première.
Une hypothèse sur l’anticipation : l’analyse du geste coverbal montre qu’il est l’expression d’un schème préconceptuel. En tant que tel, il précède souvent l’expression verbale du concept correspondant. On voit le geste donner l’image métaphorique de la notion abstraite, et souvent bien avant sa mise en mots. Il est ainsi démontré que le geste référentiel n'est pas un illustrateur, ni du dire, ni du déjà pensé. Il figure ce qui est en train d'être pensé.

En conclusion, l’analyse approfondie du signe gestuel met en évidence le caractère motivé du signe. La recherche de cette motivation débouche sur l’expérience perceptivo-motrice du corps en interaction physique avec son environnement. Cette remontée aux sources met en évidence les informations physico-symboliques non conscientes, quoique fonctionnelles, apportées par le signe  qui opère ainsi à plusieurs niveaux de conscience, et c’est bien souvent sa motivation profonde, son ‘action symbolique’ non consciente, qui se révèle la plus pertinente au plan sémantique à l’oral.
L'hypothèse forte est celle de l'ancrage perceptif du langage, constatée chez l'enfant et qui semble confirmée par l'analyse de la gestuelle coverbale de l'adulte tant du point de vue sémantique (gestualisation de préconcepts) que temporel (la gestualisation précède la verbalisation du référent, lors de l'énonciation créatrice). Se trouve ainsi posée la question fondamentale de la contribution des pouvoirs symboliques du geste à la communication orale, et de son rôle au plan cognitif.

Elements of Meaning in Gesture . Calbris Geneviève (2011) (translated by Mary M. Copple). Amsterdam/Philadelphia: Benjamins