blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

jeudi 9 janvier 2014

Le "langage des yeux" et la PNL: postulats invérifiés et part de réalité


Une méthode de communication très utilisée en PNL s’appuie sur les célèbres « clefs d'accès visuelles ». Selon des observations empiriques de Grinder et Bandler  cette cartographie des mouvements oculaires en 6 positions permettrait de détecter si notre interlocuteur pense à un stimulus acoustique, visuel, ou kinesthésique . Et ceci selon deux modalités :  pensée remémorée , ou bien pensée construite au moment où il nous parle.  Un modèle qui résiste au temps, en dépit de l’absence de preuves empiriques. Cette piste a d’ailleurs même questionné les experts en psychologie criminelle : si elle était valide , elle aiderait à détecter le mensonge, à l’œil nu ou par suivi numérique du trajet oculaire . En effet la rotation des yeux vers la droite est corrélée selon la PNL aux pensées construites , et  la rotation  vers la gauche au rappel des souvenirs stockés en mémoire .

Ainsi que nous l’avons déjà vu dans ce blog, quelques études ont montré que la rotation de la pupille était corrélée à l'activité cognitive . Mais selon la littérature expérimentale les 6 positions codifiées par la PNL selon le modèle VAK (visuel, auditif, kinesthésique) , ne  rencontrent pas d'évidence  neuropsychologique  robuste. La plupart des études ont été menées dans les années 80, puis après un creux de la vague, le sujet a été discuté à nouveau .  En voici un aperçu.
Lors de diverses expériences publiées par la revue Perceptual and Motor  Skills (1980, 1985 , 1985b, 1986) des sujets ont été invités à se rappeler des images visuelles, certains bruits ou sensations kinesthésiques . Les tests de Ki Deux, montraient que les trajectoires oculaires ne concordaient pas avec celles que postule le modèle VAK. Dans cette même revue (1987) une étude  signée par des expérimentateurs apparemment experts en PNL, critique ces résultats car dans la collecte des indices oculaires, ils font  abstraction du profil sensoriel typique du participant  . Une autre expérience dans le numéro d’aout 88 montre que les réponses oculaires d’un groupe d’aphasique différent de celles de sujets normaux (cf. également sur ce blog : le regard d’évitement en schizophrénie) . La cartographie en 6 points peut à tout le moins, servir de grille d’observation fonctionnelle, à défaut d’en partager les conclusions interprétatives.

A cette même époque, plusieurs études dans le Journal of Counseling Psychology . La première (1984) conclut  que le mode de représentation sensoriel VAK  identifié depuis le  mouvement des yeux, ne révèle pas dans les tests interactifs, une meilleur accordage de communication . Mais un biais de cette étude est de tester à la fois la codification des yeux et son application relationnelle. La seconde étude (1985) révèle l’absence de liaison entre les positions oculaires VAK et les consignes orales  de rappel en mémoire . Par contre la troisième(1987)  suggère que les indicateurs oculaires des modalités visuelles et auditives (mais pas kinesthésiques) sont significativement corrélés. On remarque toutefois que les juges chargés de codifier les mouvements des yeux générés par les questions étaient des experts en PNL  et non pas des « juges naifs ».


Revenons aux études actuelles, assez rares  : davantage orientée sur la détection du mensonge, l’expérience du Pr Wiseman (2012) consiste à demander à des sujets de mentir en condition A , et de dire la vérité en condition B. Sur la base de leur passage devant la caméra, leurs mouvements des yeux étaient codés selon  la typologie utilisée en PNL, mais cet étiquetage ne montrait aucune concordance significative avec la construction du mensonge. Une sous-partie de l’étude menée avec l’expert S.Porter déroulait les interviews de presse, de personnes ayant prétendu avoir été victimes de crime : les unes à juste titre, les autres  de manière démentie par le dossier judiciaire.  A l’intérieur d’un large spectre d’indices corporels observés parmi les menteurs, le modèle des mouvements oculaires ne montrait pas d’efficacité prédictive.

Enfin, l’université polytechnique de Bucarest  a élaboré récemment un  modèle automatique de reconnaissance de la direction des yeux en interrogeant les sujets selon le modèle VAK de la PNL.  Les auteurs remarquent certaines concordances , mais notent surtout qu'il y a des liaisons « subtiles » entre différentes  modalités d'activité mentale et des directions de mouvements oculaires  .  S’il parait assez peu probable d’objectiver un modèle universel de type VAK, il est indéniable que certains patterns de mouvements oculaires peuvent être remarqués  de manière stable chez des personnes quand elles  se remémorent un évènement, font du calcul mental, recherchent une date , un nom ..

En effet on remarque régulièrement en faisant passer des tests eye tracking, que l’œil des  sujets réagit différemment lors de processus cognitifs, mais avec des régularités intrinsèques à chaque personne .  En revanche lorsqu’une personne se remémore un objet, un mouvement, ses trajets oculaires ou scanpaths ont tendance à modéliser les propriétés spatiales de ce référent imaginaire. Enfin, selon la complexité du processus cognitif engagé par la question de l’interviewer (ex: croisement de données mémorielles), on remarque des trajectoires oculaires  plus ou moins complexes et non réductibles à une direction spatiale.

En résumé si le diagramme en six positions de la PNL n'a pas prouvé sa pertinence à révéler des modes sensoriels de représentation interne,  le mouvement des yeux reste un "insight" intéressant de l’imagerie mentale . Il est d'ailleurs plus facile à détecter à l’œil nu, que les variations de la taille de la pupille (cf. article sur ce blog)  . Ces réserves sur la validité du  modèle VAK ne remettent pas en question le potentiel thérapeutique de la  PNL,  ni son efficacité comme technique  pragmatique de communication.  Mais sans doute le modèle mériterait-il d’être revisité en fonction de ce que les neurosciences nous ont appris depuis les relevés cliniques de Grinder et Bandler .