La relation entre patient et médecin , est souvent le lieu de projections inconscientes : asymétrie de la relation , représentations floues de son discours expert , indices de présence corporelle ambivalents . Envisageons quelques aspects de cette relation non pas dans le contexte des soins courants, mais dans des situations où le caractère anxiogène de la maladie amène le patient à amplifier le sens perçu des dits et des non-dits de son médecin . Au delà de l'anxiété la dépression est fréquente , le transfert vers le médecin peut alterner entre des ressentis positifs ou de désespoir. Sa capacité d’écoute et d’implication est fortement évaluée par le patient grâce à ce qu'il perçoit des attitudes non verbales . Les signes corporels prennent nécessairement une place plus importante lorsque l’information verbale est difficile à décoder, ou incomplète (ex : absence des analyses ou radiographies indispensables au diagnostic ). Le malade peut alors en inférer plusieurs voies d'interprétation, ou compenser l'insuffisance d'informations reçue par ses propres impressions induites par le contexte non verbal.
Le regard comme geste de confiance
Une recherche sur la question (suivre ce lien) souligne l'importance du regard perçu par le patient, en tant que critère d'implication et de présence dans la communication . Les médecins ne sont pas toujours conscients du fait que lorsqu'ils orientent longuement leur attention visuelle vers le dossier médical ou vers l’ écran d’ordinateur , ceci peut être diversement vécu par le patient. Lorsque ce patient s’efforce de décrire ses symptômes les frappes au clavier peuvent engendrer des interruptions , suivies de tentatives de reprises (je ne sais plus où j'en étais..., donc, je vous disais..) . Parfois le regard du médecin reste orienté vers son écran même lorsqu’il n’en a plus besoin , la triangulation de la relation par l’ordinateur (dit magic box par des auteurs anglo-saxons) permet éventuellement de maîtriser temps thérapeutique et parole d'autrui.
Dans une perspective différente, pour ne pas rompre la ligne de communication, le praticien peut entretenir un contact intermittent , visuel ou acoustique (acquiescement, reformulation) . La médiation de l’interface ,autrefois signe de compétence, peut être perçue comme une façon de se dérober à la relation, ou de canaliser la durée de l'entretien . Les patients répondant à l' étude, indiquent qu’ils apprécient parmi les médecins ceux qui sont expressifs , verbalement et corporellement ; ces patients ressentent positivement les hochements de tête , les manifestations de sourire . L’attention à l’égard des modulations vocales est plus forte que d'ordinaire ; dans l'attente de mots réconfortants , des voix atones ou monotones peuvent avoir une connotation grave ou solennelle . Ils disent préfèrer une moindre distance interpersonnelle et le fait que le médecin s'approche ou se penche vers eux , buste avancé dans l'axe du dialogue plutôt qu'en retrait au fond du siège ou décalé latéralement . Plus ambivalent , le toucher amical est perçu soit comme positif , soit comme surprotecteur et signe annonciateur d'aléas.
S'il existe de larges ressources de formation en matière d'entretien pour des conseillers commerciaux, des travailleurs sociaux ou des enseignants, etc, les références prétendant guider le médecin dans sa relation interpersonnelle sont plus rares , de source francophone en tous cas . Un article de M. Vannotti montre comment un travail sur les émotions permet au médecin de cadrer la relation autrement , avec une attitude empathique ce qui suppose non seulement des techniques corporelles mais une sensibilité à la fois authentique et contrôlée , à la souffrance d'autrui .
Aspects non verbaux de l'empathie
On sait que l’empathie est cette attitude bienveillante d’écoute et de résonance aux affects et à la souffrance d’autrui. Corporellement cela se manifeste par des hochements de tête, reformulations, régulateurs verbaux d'écoute, postures en miroir ou synchronie des attitudes , mais les modalités expressives peuvent varier selon le mode d'empathie . Davis distingue un mode plutôt affectif et un mode empathique plutôt cognitif . Dans le premier cas l’individu modélise en partie les émotions de la source (il peut partager par exemple, sa colère contre une injustice) . Dans le second mode il surmonte cognitivement cette émotion .
Il serait en tous cas intéressant de mieux analyser les aspects non verbaux de l’empathie ainsi que les perceptions non contrôlées qu’elle peut induire chez un interlocuteur . En effet pour en revenir au contexte médical quelles peuvent être les connotations secondaires dans la tête du patient en cas d'empathie affective ? Exemple: une apparence "solennelle" dans l'expression du médecin semblera peut être révéler au patient un non-dit inquiétant .
Face à un patient triste et inquiet , le médecin peut refléter inconsciemment une attitude empathique dans laquelle sera lue une sous-dominante visuelle évoquant légèrement la tristesse. Autrement dit si on replace l'intersubjectivité au milieu du dispositif :
-le médecin fait écho empathiquement à l'expression inquiète du patient . Il ne s'inquiéte pas dans l'immédiat de son dossier, mais fait légèrement résonnance à l'inquiétude actuelle de son patient (*)
- le patient décrypte les indices expressifs du médecin (un sourire de compassion) comme pouvant être de mauvais augure à long cours
Figures de l'empathie
Au dela de la situation soignant-malade abordée ici, quelles sont finalement, les figures visuelles de l'empathie ? Question à laquelle sont d’ailleurs confrontés les concepteurs d’agents intelligents conversationnels pour rendre ces derniers plus communicants. Le paramétrage d’émotion mélangées (Pelachaud & col.) permet par exemple d'attribuer au haut du visage de l'avatar GRETA une expression triste et au bas du visage une expression discrète de joie.
Contrairement aux émotions qui ont été codifiées en unités d'actions faciales , l’expression d' empathie n'a guère de représentation canonique. Une piste est offerte par l'iconographie religieuse , qui révèle des images de l'empathie "affective" ou de compassion, continuuum visuel entre un message d'espoir et d' échoisation de la souffrance d' autrui.
Dans les représentations des saints ou de la Vierge, les traits caractéristiques sont souvent un sourire de très faible intensité auquel sont mêlés quelques formants visuels de la tristesse , avec légère flexion des sourcils, flexion latérale de la tête . Selon les icônes, la composante visuelle "espoir" peut prédominer sur "écho de la souffrance" ou l'inverse. Et selon nos propres dispositions à l'empathie , sans que nous y pensions nos neurones miroir sont activées par l'expression qui nous fait face si nous nous laissons aller à la contemplation. Sans doute est-ce aussi une fonction rhétorique de ces oeuvres sacrées ...
* Le corps du récepteur entre en résonance avec celui de l'émetteur et cet analyseur corporel permet d'attribuer à autrui des états mentaux (Cosnier 2008)