Les jeux
sportifs sont des interactions dans lesquelles l’ajustement aux intentions de
l’adversaire implique une lecture des indices et mouvements corporels, parfois
très éphémères , et qui interfèrent avec la production de signaux contrôlés ou manipulés. Dans
leur registre respectif les basketeurs, boxeurs, tennismen, judokas, … sont
des experts en communication non verbale qui analysent toutes variations
d’indices chez l’adversaire: rotations de postures , intentions
balistiques, orientation de regard et indices oculaires, marques d’inspiration
ou de contraction musculaire annonciatrices d’un passage à la vitesse
supérieure. L’entrainement de la vision
périphérique pour contrôler ce qui se passe autour suppose parfois de maintenir
un axe de regard focal afin de ne pas montrer où s’exerce l’attention . La stabilité
émotionnelle est un autre paramètre de performanance , diverses études dont
celles de Eysenck montrent que les
individus anxieux sont plus distraits, alors que les sujets extravertis et à
forte stabilité émotionnelle sont avantagées dans des activités de précision
tells que le tir.
Une des études sur les jeux à
gardien de but est présentée dans un ouvrage de
Nicolas Vignais, qui a formalisé
les stratégies de prise d’information visuelle du gardien de handball et mis en
évidence les indices d’anticipation utilisés par celui-ci . D’autres analyses, sur le foot-ball, ont
montré que les indices signifiants pour
le gardien ou les adversaires d’un
joueur se situent au niveau de l’orientation du tronc , de la tête , de la
position de la jambe motrice , de l’ouverture du genou , de la position des
hanches. Statistiquement il a été montré
que plus les joueurs prennent de temps avant d’envoyer la balle et plus les
gardiens doivent s’attendre à une feinte d’intention ou un changement tactique
. Des tests avec eye tracking montrent aussi que plus les joueurs sont anxieux, plus le nombre
et la durée des fixations oculaires vers le gardien sont élevés (les corrélations
entre réinspections et anxiété ont été montrées dans d’autres études , on parle
ici de regard moins efficace , associé à une moindre précision des tirs).
Une étude
récente analysant les stratégies du
footballer face au gardien est celle de Loriane Chardonnens (université de Genève ) . Tout joueur dit-elle rêve de pouvoir inférer la direction du plongeon du
gardien pour tirer dans la direction opposée. Elle montre ainsi que les positionnements du gardien par rapport à l’espace qu’il
protège, relève d’une sémiologie subtile , par exemple il peut induire des biais de perception en
levant ou baissant les bras pour paraitre plus grand ou plus petit et
influencer la direction des tirs ou à tout le moins brouiller les repères spatio-visuels . Une autre hypothèse qui l’a
intéressée est que le gardien pourrait
se décaler volontairement à gauche ou à droite du centre afin que l’une des
deux surfaces paraisse plus grande au tireur , et ceci afin d’ infléchir la
direction latérale de son tir (et se préparer à plonger du bon côté) … .
Mais durant
cette étude elle a surtout effectué des analyses fines des expressions faciales
associées à une certaine pression . Expressions qui accompagnent les tirs du
joueur notamment lors du redouté pénalty : serrer les dents et les
machoires, passer la langue sur les
lèvres, froncer les sourcils, plisser le nez, gonfler ou creuser les joues,
presser, aspirer ou mordre les lèvres, Au sein de l’observation qu’elle a menée sur des vidéos de tirs au pénalty , deux expressions corporelles
sont liées (selon le test paramétrique) à l’échec des tirs : le fait de presser les lèvres et
l’orientation du regard vers le bas durant la préparation du tir. Le premier
indice (presser les lèvres) est un acte lié à un besoin d’autocontrôle face à
la nervosité, le second semble lié à la peur de rater le tir et induit une perte d’information potentielle . Dans le même ordre d’idées le fait de fermer
les yeux avant le tir (anxiété,
concentration, prière ?) est associé selon une autre étude statistique, à un risque d’échec
plus élevé.
Comme l'indique cette étude qui ouvre une problématique originale sur le sport
et l’expression des émotions à l’interface des sciences cognitives ,
diverses modalités resteraient à explorer au niveau des gestes d’autocontact
des joueurs, des gestes d’intimidation,
des expressions faciales des gardiens . Sans parler de l’ensemble des gestes conventionnels
ou universels, authentiques ou théâtralisés, qui peuvent être liés aux
sentiments de désaccord, de révolte, de triomphe, profonde déception, et enfin
des signes de communication tacites et « idiosyncrasiques »
transmis entre les joueurs , pouvant inclure des simulacres afin
d’empêcher l’adversaire de décoder correctement la séquence.