On parle
peu de la gestuelle et des expressions faciales des musiciens. Le corps à corps exercé sur
l'instrument (variations de pression , de fluidité, de saccades,
d'amplitude et d'emphase) peut être tantôt discret, ostensif , fougueux , pathétique, et ces variations hautes et basse d'intensité se lisent dans les mouvements gestuels, dans les tensions, relâchements, légères crispations de muscles expressifs . Moins complexes gestuellement, les mouvements de
tête ou battements de pieds reflètent le tempo mais ne relèvent pas directement des émotions de l'artiste.
Le cas du
violoniste est intéressant par sa visibilité puisque l'instrument et le visage
sont en étroite proximité. Les variations acoustiques (fréquence sonore, volume, staccato, etc) se projettent de façon très sensible dans les coups de
tête, les mouvements des sourcils , les inflexions
des coins des lèvres tandis que la mélodie franchit les suraigus ou que les
"attaques" de notes se font plus saccadées . Puis les mimiques se convertissent encore lorsque le flux
s'apaise allegro ma non troppo
avant de se reconvertir plus gravement en mode mineur . On cite parfois parmi les virtuoses dont l'expression d'empathie avec leur propre production sonore est presque excessive, Janine Jansen , Mitsuko Uchida , Daniil Trifonov ... Mais le répertoire d'exemples étant illimité limitons nous à quelques cas de figure.
Du côté des bois ou les cuivres tels que les saxophonistes, trompettistes... les
muscles inférieurs du visage sont déjà accaparés par le jeu instrumental , donc les inflexions des sourcils sont prévalentes . Parmi les virtuoses comme Miles Davis ou Charlie Parker le visage est souvent imperturbable en dépit de la
prouesse mais dans des pics d'intensité les paupières se ferment encore davantage sur les yeux déjà mi-clos comme en adoration . Dans les pentes les plus aigues le muscle intersourcillier se contracte et peut être plus encore
chez le trompettiste. Dans un autre
registre du jazz, Richard Galiano est sans doute l'accordéoniste le plus
expressif . Il joue aussi très souvent les yeux mi-clos ou fermés en fusion
totale, les mimiques du visage inférieur changent constamment et sont ponctuées par des moues qui rentrent les lèvres à l'intérieur et projettent un peu le menton en saillie , tandis que du haut du visage émanent
des expressions pathétiques, ou encore stoiques dans les tangos argentins de Piazzola .
Mais une
classe de mimiques spéciale est celle des mimiques de
concentration des musiciens dans les périodes de forte tension cognitive et motrice autrement dit lors de passages
particulièrement difficiles. L'auditeur sensible au non verbal, apercevra dans
ces phases critiques des mouvements d'élévation des sourcils , la contraction du corrugator enter les sourcils et tout une
série de patterns qui déforment visuellement la bouche par des mouvements de
flexion inférieure ou latérale, de pression forte des lèvres l'une sur l'autre ,mais aussi parfois de micro expressions et divers patterns en forme de "tics
d'expression"
Certains
critiques voient dans ces figures mi tourmentées mi extatiques, une rupture de la continuité esthétique car après tout objectent ils, on est dans le
domaine du sublime et du parfait : ainsi l'artiste ne devrait rien partager des contorsions
mentales ou motrices que l'oeuvre exigeante lui impose . C'est aussi ce que préconisent certaines écoles
instrumentales et formateurs, par exemple la célèbre technique FM
Alexander préconise l’autocontrôle "pour ne pas gâcher les sensations du spectateur ", elle recommande
de paraître "stoïque" plutôt
que de laisser transparaître les marques de l'effort: L'élève recommande-t-on,
devrait exprimer sa joie et le plaisir d'être performant plutôt que d'induire dans les neurones du spectateur, des sensations négatives . A l'inverse sur le forum de Violonist.com , d'autres musiciens qui se sont vus en vidéo disent qu'il n'est pas
possible d'avoir un visage de joueur de poker lorsqu'on est au summum de la difficulté. Sur ce
forum un violoniste déclare qu'il est
plus performant s'il laisse faire son visage et son corps plutôt que de
chercher à les contrôler. Pour peu qu'on
quitte le domaine de la musique
classique , on peut voir par exemple un Carlos Santana mâcher consciencieusement son chewing gum dans certains solos ce qui permet à la fois
de réguler le stress, et d'éviter la formation de patterns faciaux
trop visibles .
Ce thème autour des patterns régulateurs ou gestes de confort nous ramène fortement vers des problématiques de l'expression orale où les locuteurs se demandent s'il vaut mieux croiser les mains et éviter les gestes parasite (et finalement ne sachant pas trop ce qui les caractérise ainsi on élimine les gestes tout court) . Comme le note un autre contributeur du forum Violonist.com, on "joue mieux quand on bouge que lorsqu'on reste figé". Cette remarque de bon sens n'est pas sans rappeler les théories fondamentales du geste (1) qui ont révélé la notion de charge cognitive pendant la parole et le besoin afférant de mouvements de confort et réassurance .
(1) La communication non verbale , J Cosnier , A. Brossard & al. (1973). Delachaux et Niestlé.