mercredi 3 novembre 2010
l'entretien de recrutement sur second life , des modalités de communication plus discriminatoires ?
De plus en plus de sociétés relevant des “ grands comptes ” achètent des îles sur Second Life (SL) pour y implanter des pavillons de recrutement et procéder à des pré-sélections de candidats à des postes de haut niveau . Sur le plan des interactions cette forme de communication désincarnée redistribue bon nombre de paramètres . Rappelons que dans l’interface SL les utilisateurs utilisent un avatar animé qui est leur représentation graphique, et dont ils définissent l’apparence: âge, sexe, couleur, vêtements, bijoux, tatouages … Cet avatar peut être le plus fidèle possible à l'identité de l'internaute ou lui permettre à l'inverse de se créer une tout autre personnalité (par exemple taille, musculature, apparence ethnique... ).
L’entretien peut être individuel ou, afin de tester l’adaptation du candidat au groupe, se présenter comme une parodie des classiques entretiens collectifs. Il regroupe alors des candidats sans limite géographique ou de frontière , ce qui reproduit des commodités de la vidéoconférence (pas de frais ni de stress liés au déplacement). Un tel entretien débute avec l'arrivée de chaque candidat qui est invité a occuper un siège libre autour de la table.
Théoriquement Second Life permet à chacun de dialoguer soit par la parole, soit sous forme de dialogue au clavier (chat). Le problème des échanges oraux est que comme les utilisateurs ne se voient pas réellement (et comme leur avatar ne lève pas le doigt pour prendre la parole...), la cacophonie l’emporte généralement au niveau des tours de parole (cf. post sur ce blog du 13 avril 2009) . L’échange par chat permet une meilleure discipline des échanges. Les messages de chaque intervenant sont archivés avec son accord , ce qui permet des comparaisons de candidats a posteriori.
Intérêt de cette interface ? Pour des entretiens de groupe SL permet, par rapport a un chat classique, de pouvoir échanger dans un lieu virtuellement visualisable ce qui suggère aux candidats le sentiment d’“ être ici et ensemble ” . Pour sa part le recruteur peut organiser à sa manière les paramètres de son entretien , il peut simuler une tache en situation, lancer un jeu de rôle entre candidats ou serious game , tester leur réaction en situation d’urgence, les déplacer vers certains lieux stratégiques.. Sur le plan ergonomique, l’univers SL permet au candidat, à distance , de manipuler des objets en 3 dimensions , notamment s’il postule à un emploi d'ingénieur, graphiste, designer, paysagiste .
Mais que peut on penser des modalités de communication en dehors des a priori technophobes ou technophiles?
Les chasseurs de tête sur SL défendent que lors des entretiens collectifs les candidats se révèlent mieux sous leur vrai jour en raison de l’anonymat que leur offre l’avatar, alors qu’en temps ordinaire ils peuvent s’autocensurer (biais de désirabilité sociale ). On "se lâche" donc plus facilement déguisé en personnage fantasmatique que si on était encravaté pour un véritable entretien. Ce contexte crée une proximité assez inattendue entre le recruteur et le candidat postulant, il entretient le sentiment un peu empathique de partager une même expérience ludique et immersive . Avantage : une moins grande asymétrie des rôles, inconvénient: une baisse de l'autocontrôle qui peut conduire à lâcher des informations irréfléchies.
Compte tenu de la difficulté de converser à plusieurs par micro, l'écriture par chat se substitue donc à l'expression multimodale , qui en temps normal intègre: le contenu verbal, les composantes vocales, les impressions corporelles, les regards.... Le candidat n'a donc pas à se préoccuper de son élocution, exit le stress du face à face . Sur le plan interactif, l'écrit est plus asynchrone que la voix et offre davantage de temps pour la réflexion " ce qui neutralise les réactions spontanées" regrettent des DRH. Le niveau de langage est plus familier qu'en entretien réel, il tolère les abréviations , les phrases courtes ou nominales, .... Donc des habiletés expressives qui avantageront certains mais ne conviendront pas forcément aux candidats charismatiques à l'oral: il n'y a plus de feed back visuel corporel, l'incarnation vocale est absente, les émotions sont remplacées par des expressions faciales très basiques des avatars , ou par des smileys.
Souvent les chasseurs de tête estiment que ces nouveaux syles de recrutement occultent tous les indices de présentation , de gestuelle et d'expression caractérologique qui permettent d'évaluer l'épaisseur humaine, les affects du candidat. On cite volontiers le fait que le paraverbal recèlerait 70% du sens (en s'appuyant sur cette célèbre et bien réductrice extrapolation d'une expérience de Merhabian ... )
Mais soyons juste: le décodage à outrance du "langage corporel" comporte aussi quelque chose de normatif qui fait la part belle aux intuitions de l'évaluateur . Intuitions et projections trop souvent au détriment de la valeur intrinsèque du candidat, de son CV et des commentaires qu'il formule pendant que son apparence et ses infimes réactions sont scannées au grand complet...
Difficile en contrepartie de plaider que le postulant se révèlerait sous sa véritable identité par l'entremise de cette métaphore corporelle sensoriellement limitée qu'est l'avatar (quid de la richesse du contact humain?)
Pas facile en résumé, de jeter un jugement définitif sur ces plates formes de recrutement 'high tech' qui peuvent faire le succès des uns , alors que les autres reviendront à la case départ ... mais auront pu s'entrainer sans bourse délier .
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