Nous
avons déjà envisagé sur ce blog ( note 1), le rôle
que pouvaient jouer les indices oculaires dans la reconnaissance des
processus cognitifs ou émotionnels d'une personne : clignements
des yeux, mouvements de la pupille, dilatation ou rétraction de la
pupille. Ces indices font partie de la communication non verbale ,
mais sont plus difficiles à interpréter que les gestes et
expressions faciales . Les méthodes d’observation en laboratoire
et l’observation clinique ont montré cependant certaines relations
entre les phénomènes oculaires et le cerveau. Mais une grande
partie partie des expériences sur la pupille menées notamment en
marketing sensoriel ont souffert d'un biais, celui de la
variation de luminance lors de la présentation des stimuli.
C'est
un des problèmes auxquels s'est intéressé Thierry Baccino ,
professeur de psychologie cognitive et directeur scientifique du
LUTIN, qui cumule des décennies d’observation des phénomènes
oculaires derrière l'eye tracking. Hormis
son expertise sur la lecture et la lecture numérique il
s'intéresse aux phénomènes attentionnels de la conduite . Entre temps, la
variation du diamètre pupillaire est devenu un sujet assez populaire
dans les revues et blogs de développement personnel. Il m'a donc
semblé opportun de lui demander son avis sur le sujet suivant :
la dilatation de la pupille permet elle d'interpréter les états
d'âme d'autrui ?
J’aimerais
revenir sur deux études sur la variation pupillaire dont vous êtes co-auteur (réf. note 2) . Dans la première les sujets
ont des taches de lecture ou de calcul , dans la seconde pendant qu'ils conduisent virtuellement ils reçoivent quelques alertes sonores
stressantes. Est ce que ces deux types d’expériences ont révélé
des choses différentes ?
T.B. : Les deux études sont complémentaires : la première expérience s’attache à montrer comment on peut analyser le diamètre pupillaire (qui est un signal tres bruité) en décomposant ce signal et en retirant les effets qui ne nous intéressent pas ...
T.B. : Les deux études sont complémentaires : la première expérience s’attache à montrer comment on peut analyser le diamètre pupillaire (qui est un signal tres bruité) en décomposant ce signal et en retirant les effets qui ne nous intéressent pas ...
... Quels
effets non pertinents par exemple ?
T.B. : Par
exemple, l’effet de la lumière qui justifie en grande partie la
dilatation pupillaire, tandis que les autres effets sont dus aux
traitements cognitifs. C’est la raison pour laquelle nous avons
comparé plusieurs conditions qui variaient selon l’importance de
la tache (détecter des lettres est plus simple que compter
mentalement,…).
La
seconde expérience visait à montrer comment des indicateurs du
stress pouvaient être extraits du signal pupillaire. En utilisant
des techniques informatiques, nous montrons qu’une classification
du niveau de stress peut être obtenue (sur une tache de conduite).
L’objectif serait de pouvoir détecter en temps réel le niveau de
stress d’un conducteur de manière à pouvoir lui donner des
messages d’alerte.
Selon vos études les variations de la pupille semblent
infimes en durée et en amplitude . Pourtant on lit
souvent qu’en l'observant à l'oeil nu, on pourrait détecter le stress . Qu’en
pensez vous ?
T.B. Non
il n’est pas possible d’observer à l’œil nu la dilatation
pupillaire qui serait due au stress. Cette composante est fortement
mélangée avec la composante lumière et c’est la raison pour
laquelle il faut trouver des méthodes pour isoler les effets
lumineux. Le niveau de stress n’est que le résultat de ce filtrage
de la lumière (prenez la métaphore du chercheur d’or qui tamise
des tonnes de sable pour ne conserver que des paillettes d’or, au
départ ce n’est que l’eau sablée).
source: International Journal of Human-Computer Interaction. réf. b) ci dessous
(1) Articles précédents sur ce blog concernant les indices oculaires :
(2) Référence des études citées:
- (a) Jainta, S. & Baccino, T. (2010). Analyzing the pupil response to increased cognitive demand: a principal and independent component analysis study, International Journal of Psychophysiology, 77. 1-7.
- (b) Pedrotti, M., Mirzaei, M.A., Tedesco, A., Chardonnet, J.R., Mérienne, F. & Baccino, T. (2014). Automatic stress classification with pupil diameter analysis, International Journal of Human-Computer Interaction, .30, 1-17.