blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

jeudi 23 décembre 2010

Non verbal , empathie et non dit dans la relation médecin patient

La relation entre patient et médecin , est souvent le lieu de projections  inconscientes : asymétrie de la relation ,  représentations floues de son discours expert ,  indices de présence corporelle ambivalents .  Envisageons  quelques aspects de cette relation non pas dans le contexte des soins courants, mais dans des situations où le caractère anxiogène de la maladie amène le patient à amplifier le sens perçu des dits et des non-dits de son médecin . Au delà de l'anxiété  la dépression est fréquente , le transfert vers le médecin peut alterner entre des ressentis positifs ou de désespoir. Sa capacité d’écoute et d’implication est  fortement évaluée par le patient grâce à ce qu'il perçoit des attitudes non verbales . Les signes corporels prennent nécessairement  une place plus importante lorsque l’information verbale est difficile à décoder, ou incomplète (ex : absence des analyses ou radiographies indispensables au diagnostic ). Le malade peut alors en inférer plusieurs voies d'interprétation, ou compenser l'insuffisance d'informations reçue par ses propres impressions induites par le contexte non verbal.


Le regard comme geste de confiance 
Une recherche sur la question (suivre ce lien) souligne l'importance du regard perçu par le patient, en tant que critère d'implication et de présence dans la communication . Les médecins ne sont pas toujours conscients du fait que lorsqu'ils orientent longuement  leur attention visuelle vers le dossier médical ou vers l’ écran d’ordinateur , ceci peut être diversement vécu par le patient. Lorsque ce patient s’efforce de décrire ses symptômes les frappes au clavier peuvent engendrer des interruptions , suivies de tentatives de reprises (je ne sais plus où j'en étais..., donc, je vous disais..) .  Parfois le regard du médecin reste orienté vers son écran même lorsqu’il n’en a plus besoin , la triangulation de la relation par l’ordinateur (dit magic box par des auteurs anglo-saxons) permet éventuellement de  maîtriser temps thérapeutique et parole d'autrui.

Dans une perspective différente, pour ne pas rompre la ligne de communication,  le praticien peut entretenir un contact intermittent , visuel ou acoustique (acquiescement, reformulation) . La médiation de  l’interface ,autrefois signe de compétence,  peut être perçue comme une façon de se dérober à la relation, ou de canaliser la durée de l'entretien .  Les patients répondant à l' étude,  indiquent qu’ils apprécient parmi les  médecins ceux qui sont  expressifs , verbalement et corporellement ; ces patients  ressentent  positivement les hochements de tête , les manifestations de sourire .  L’attention à l’égard des modulations vocales est plus forte que d'ordinaire ; dans l'attente de mots réconfortants , des voix atones ou  monotones peuvent avoir une connotation grave ou  solennelle . Ils disent préfèrer une moindre distance interpersonnelle et le fait que le médecin s'approche ou se  penche vers eux , buste avancé dans l'axe du dialogue plutôt qu'en retrait au fond du siège ou décalé latéralement . Plus ambivalent , le toucher amical est perçu soit comme positif , soit comme surprotecteur  et signe annonciateur d'aléas.

 S'il existe de larges ressources de formation  en matière d'entretien pour des conseillers commerciaux, des travailleurs sociaux ou des enseignants, etc,  les références prétendant guider le médecin dans sa relation interpersonnelle  sont plus rares , de source francophone en tous cas . Un article  de M. Vannotti  montre comment un travail sur les émotions permet au médecin de cadrer la relation autrement , avec une attitude empathique ce qui suppose non seulement des techniques corporelles mais une sensibilité  à la fois authentique et contrôlée , à la souffrance d'autrui .

Aspects non verbaux de l'empathie 
On sait que l’empathie est cette attitude bienveillante d’écoute et de résonance aux affects et à la souffrance d’autrui. Corporellement cela se manifeste  par des hochements de tête, reformulations, régulateurs verbaux d'écoute,  postures en miroir ou synchronie des attitudes , mais les modalités expressives peuvent varier selon le mode d'empathie . Davis distingue un mode plutôt affectif et un mode empathique plutôt cognitif . Dans le premier cas l’individu modélise en partie les émotions de la source (il peut partager par exemple, sa colère contre une injustice) . Dans le second   mode il surmonte  cognitivement cette émotion  .

 Il serait en tous cas intéressant de mieux analyser les aspects non verbaux  de l’empathie ainsi que les perceptions non contrôlées qu’elle peut induire chez un interlocuteur . En effet pour en revenir au contexte médical quelles peuvent être les connotations secondaires dans la tête du patient en cas d'empathie affective  ? Exemple: une apparence "solennelle" dans l'expression du médecin semblera peut être révéler au patient un non-dit  inquiétant .
Face à un patient triste et inquiet , le médecin peut refléter inconsciemment une attitude empathique dans laquelle sera lue une sous-dominante visuelle évoquant légèrement la tristesse. Autrement dit si on replace l'intersubjectivité au milieu du dispositif :
-le médecin fait écho empathiquement à l'expression inquiète du patient  . Il ne s'inquiéte pas dans l'immédiat de son dossier, mais fait légèrement résonnance à l'inquiétude actuelle de son patient (*)
- le patient  décrypte les indices expressifs du médecin (un sourire de compassion) comme pouvant être de mauvais augure à long cours

Figures de l'empathie 
Au dela de la situation soignant-malade abordée ici,  quelles sont finalement, les  figures visuelles de  l'empathie  ?  Question à laquelle sont d’ailleurs confrontés les concepteurs d’agents intelligents conversationnels  pour rendre ces derniers plus communicants. Le paramétrage d’émotion mélangées (Pelachaud & col.)  permet par exemple d'attribuer au haut du visage de l'avatar GRETA  une expression triste et au bas du visage une expression discrète de joie.

Contrairement aux émotions qui ont été codifiées en unités d'actions faciales , l’expression d' empathie n'a guère de représentation canonique. Une piste est offerte par l'iconographie religieuse , qui révèle des images de l'empathie "affective" ou de compassion, continuuum visuel entre un message d'espoir et d' échoisation de la souffrance d' autrui.

Dans les représentations des saints ou de la Vierge,  les traits caractéristiques sont souvent un sourire de très faible intensité auquel sont mêlés quelques formants visuels de la tristesse , avec légère flexion des sourcils,  flexion latérale de la tête . Selon les icônes, la composante visuelle "espoir" peut prédominer sur "écho de la souffrance" ou l'inverse. Et selon nos propres dispositions à l'empathie , sans que nous y pensions nos neurones miroir sont activées par l'expression qui nous fait face  si nous nous laissons aller à la contemplation. Sans doute est-ce aussi une fonction rhétorique de ces oeuvres sacrées ...


* Le corps du récepteur entre en résonance avec celui de l'émetteur et cet analyseur corporel permet d'attribuer à autrui des états mentaux (Cosnier 2008)

jeudi 2 décembre 2010

avatars conversationnels: du robot parlant à l’humanoïde réactif et sensible



Un évènement de fin d'année dans le domaine du motion design  est l'élection du meilleur chaterbot ,  intitulée MissClient 2011 . Il s'agira pour le jury  de départager une vingtaine de robots parlants (dont 3 messieurs seulement  ...)   selon des critères d'ergonomie  mais aussi de présence sociale .  Evènement intéressant car il démontre que ces artefacts  engendrent des impressions de qualité variable en fonction de leurs compétences dialogique et de leur réalisme expressif. Ces questions de qualité communicationnelle  constituent  d’ailleurs un thème de recherche parallèle à la modélisation des avatars intelligents, dont on mesure parfois les effets cognitifs et sociaux.



Rappelons que depuis une dizaine d’années les études scientifiques sur le non verbal sont fortement  (et financièrement) déterminées par un axe qui a encore un bel avenir , celui de la conception d’avatars conversationnels. Ces recherches sont importantes pour la connaissance du geste humain car elles permettent à des experts en CNV de collaborer avec des spécialistes d’intelligence artificielle . De telles synergies restimulent régulièrement les réflexions et théories dans le champ de l’expression des gestes et des émotions. Elles ouvrent vers des questionnements originaux tels que  : comment modéliser sur un visage des émotions mélangées. Par exemple joie + déception (nous pouvons ressentir simultanément des inclinations différentes devant tel évènement, ou être amenés socialement à masquer une émotion par une autre ).


Des machines à dialoguer… et à négocier

Souvent utilisés comme métaphore d'une hôtesse d'accueil, d'un formateur , d'un guide... les agents virtuels sont théoriquement capables de comprendre le langage écrit et d’engager le dialogue en temps réel avec un être humain . L’internaute qui visite un site, entend soudain un « bonjour ! »  venu d’un coin de l’écran ( ce qui parfois peut faire sursauter ) puis voit s’afficher une créature  aguichante qui met discrètement le pied dans la porte: " puis-je vous aider ?"   L'utilisateur peut ou non accepter le dialogue, souvent l'avatar est chahuté ou on teste ses connaissances.
Petit exemple d’un chatbot volubile , qui n’appartient pas à la catégorie des agents émotionnels autonomes, mais a un certain sens de la réplique  (relativement à ses concurrents) :
http://www.jeanneton.blueinfos.com/

A minima l’effet de curiosité permet donc au personnage d'engager le dialogue,   de manière semi-directive:  certains prototypes sont dotés de procédures de négociation héritées des théories des actes de langage, et sous-tendues par des arbres de décision qui se resserrent progressivement vers des actions incitatives .  En clair, le premier objectif de l’agent virtuel sur un site commercial est d'éviter l’abandon du panier.

Mais ces personnages ludiques sont ils systématiquement acceptés ?  Avant  d'examiner plus loin les perceptions de leur gestuelle , se pose le problème de leur utilisabilité. En raison de leurs  compétences sémantiques parfois décevantes , ils peuvent agacer l’utilisateur lorsqu’ils bloquent devant une question simple ou répondent « je ne vous comprends pas, je suis jeune stagiaire ». Frustration compréhensible car ils  sont conçus pour gérer des requêtes en langage naturel et ne devraient pas lui demander plus de temps qu’une requête menée sur  un moteur . La présence d'un tel avatar est-elle alors justifiée sur le portail d'accueil ? Autrement dit s'agit-il d'afficher un faire-valoir communicationnel , ou bien de privilégier la pertinence en  recherche d'information ? 


Les agents conversationnels animés , une sémiologie des effets produits

Un autre objectif des concepteurs est le réalisme de l’ expression corporelle  . Ceci est alors le domaine des Agents conversationnels animés (ACA)  à côté desquels les chatbots , plutôt forts en verbe, font figure de "cartoon" basique.  L’ apparence humaine des ACA est toujours contrôlée par le programme même lorsqu’ils sont silencieux , à l’écoute : posture , mouvements de tête légèrement animés, clignements…  Ensuite les séquences de gestes doivent s’enchainer de manière cohérente et non discontinue afin de  ne  pas desservir la parole mais l’illustrer , et exercer une  redondance visuelle pour capter l’attention .  Certaines catégories gestuelles sont plus  complexes à modéliser que d’autres : les pointeurs directionnels, clignements des yeux, gestes de repos et autocentrés, mouvements de tête, soulèvent moins de problèmes que la connexion d’un geste métaphorique avec le mot  qu’il doit illustrer (mais certains agents savent faire) .

Autre type d'enjeu, synchroniser  sur les pics d’intonation,  les gestes prosodiques adéquats.  On évalue à ce genre de problème la difficulté de modéliser le pathos et la vibration infime qui font la trame sensible de la parole humaine.  En contrepartie certains ACA révèlent des émotions « robustes » au niveau du visage  : les unités faciales peuvent être très finement paramétrées grâce à des modèles de logique floue .  Un sourire franc saura être  modélisé différemment d’un sourire de politesse ou d’embarras (par sa symétrie, intensité...) . En outre lors d’une émotion toutes les unités faciales caractéristiques de celle-ci ne sont pas activées avec la même intensité au même moment  car c'est un continuum (ex degrés de froncement du sourcil , ouverture de la bouche ) : des graphes  permettent de visualiser les pourcentages paramétriques de l’émotion dans son déroulement temporel pour extraire de cette segmentation en micro-expressions, le pattern le plus typique .

Puis n'oublions pas dans le ressenti relationnel , que la voix d'un tel personnage va rapidement « sauter aux oreilles» : une  voix synthétisée avec une fréquence fondamentale constante, est perçue comme artificielle , métallique, et fait encore plus  ‘robot’  lorsque l'articulation des lèvres suscite une perception désynchronisée. .

Le regard  , enfin, est un paramètre d’impression très élevé . Parvenir à restituer une expression des yeux 100% naturelle de la part d’une créature synthétique relèverait  du prodige . Le regard de certains avatars dégage des impressions d’étrangeté, de « regard fixe, vide, hagard, vague … »  . La représentation graphique de la pupille , sa taille , sa motilité,  modifient fortement les perceptions. Autres impressions à contrôler: la programmation directionnelle de ce regard peut induire l’impression qu’il est trop insistant ( regard frontal trop prolongé) ou à l’inverse fuyant (oblique, vers le bas…)
 


L'analyse fine des connotations de toutes ces variables expressives devrait être idéalement, toujours menée en parallèle de la conception. Le réalisme  du paraverbal est un élément important pour que fonctionne l’interactivité entre l’ACA et l’utilisateur .


A ce sujet un nouveau prototype , Sensitive Artificial Listener a pour objectif de modéliser fidèlement l'interaction  avec l'humain (ce qui est autrement complexe que de répondre à des frappes de clavier). Il devra être capable d’interpréter les signes émotionnels fournis par l’utilisateur via une webcam intelligente (voix, regard, visage...) afin d’adapter son propre comportement et d’entretenir le plus naturellement  une synchronie dans le dialogue. Un objectif ambitieux, qui commence à révéler des résultats.  Pour en savoir plus:  :http://www.semaine-project.eu/