blog proposé par Guy Barrier

blog proposé par Guy Barrier
Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

jeudi 18 décembre 2014

empathie , mimétisme corporel, synchronisation



Jacques Cosnier a été interviewé récemment par le site Doctissimo  à propos de l'empathie. S'intéresser à l'empathie c'est savoir  appréhender ces  mouvements de la pensée qui nous permettent d’attribuer des états mentaux à autrui en nous mettant à sa place (et parfois d’anticiper ses comportements ). Mais sans  compétence empathique nous ne serions pas capables de comprendre les gestes d'une personne ni les expressions émotionnelles de son visage. Ceci est d'ailleurs à la base du problème des autistes . En voyant telle émotion sur un visage, nous activons dans notre cerveau des régions similaires à celles qui sont recrutées dans la tête de notre interlocuteur . Ce qui nous permet de générer intérieurement la même émotion afin de la ressentir puis la reconnaître .


Cosnier a développé en même temps que le concept d'échoisation, cette idée de "convergence communicative" que révèlent des sourires et mimiques en commun , mais aussi des hochements et changements de postures synchrones.  Ce sont souvent des expressions positives non conscientes explique t-il, sous tendues par une certaine affiliation ou intimité. On parle parfois de « danse des acteurs » , pour illustrer que chaque initiative corporelle d’un acteur induit des ajustements de son interlocuteur. Parfois  nous répliquons aussi des aspects de la voix de notre interlocuteur, son rythme, ses intonations , ses pauses , ses "euh"  , son accent parfois, voire même le cas échéant son bégaiement . 

Des méthodes de développement personnel proposent d'induire volontairement ce mécanisme en modélisant  des postures , gestes d'autrui pour  modifier son état interne mais pour créer une similarité perçue qui permettrait d'améliorer la relation. En PNL une des techniques (plus complexe que le simple miroring)  propose même de transposer dans un autre registre un geste de la personne,  par exemple de modéliser  notre respiration sur le battement rythmique de sa jambe .
Il n'est pas avéré que les neurones miroir se laissent aussi facilement prendre au jeu lors de négociations ou dans des stratégies de séduction, comme certains blogs le laissent entendre. Par contre ces "stratégies" ouvrent une réflexion intéressante sur la CNV en relation d'aide et de soin . En établissant une certaine résonance corporelle et en faisant écho à certaines modalités expressives de la personne telles que son tempo,  il est possible de lui montrer des similitudes qui  créent un sentiment de familiarité et des passerelles rassurantes .  

Mais une discrimination fine et experte doit prévaloir pour éviter les contresens, par exemple  un aidant  qui n'aurait pas accompli un travail d'intelligence émotionnelle, risque de laisser transparaître quelques traits de l'inquiétude  en face d'un visage inquiet . Enfin si le rôle des hochements a été largement étudié , une question toujours non résolue est celle des patterns faciaux de l'empathie: résonne-t-on à la souffrance d'autrui avec une légère expression de tristesse cognitivement contrôlée ? avec une légère modalité de sourire qui préfigure l'espoir ? ou bien est-ce une sorte d'émotion mixte qui incorpore ces deux composantes visuelles ? 

En savoir plus:
Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L'empathie. Un sixième sens, Lyon, PUL (2013)
Guy Barrier  Les langages du corps en relation d'aide . chap. 4 sur l'empathie. ESF Editions (2013) 
Margot Phaneuf  La synchronisation, un moyen à la portée des infirmières  , texte en ligne 




lundi 20 octobre 2014

Les gestes de la tête en feedback permettent ils aux interlocuteurs de s'accorder ?





Dans le dialogue, nous retournons de temps en temps  à notre interlocuteur certains hochements de  tête  qui peuvent être accompagnés de  feed back verbaux (oui, hum , d'accord... ) . Ces signes visuels et acoustiques, ont pour but de permettre d'apprécier l'accordage entre  deux interlocuteurs : est ce que le message est reçu 5 sur 5 ?  Si oui, est on sur la même longueur d'onde ?  Nous verrons que ces signes qui sont censés lever l'incertitude  et éviter les incompréhensions sont à vrai dire, assez ambigus . 

Observons déja que tout comme les gestes , l'intensité des mouvements de tête approbateurs, peut varier , de même que leur amplitude , leur vitesse … Ils peuvent devenir plus fréquents en réaction à certaines paroles ou au contraire se raréfier. Cela dépend du degré de compréhension du message, mais aussi de son acceptation , de l'adhésion  aux idées qu'il véhicule.  
A vrai dire, les gestes de la tête verticaux peuvent  signifier sur une échelle progressive :
- l'attention pure et simple  que chaque partie accorde à l'autre  (j'écoute)
- le décodage et la compréhension des paroles échangées (je comprends)
- l'intérêt éprouvé envers ses propos, la valeur qu'on leur attribue (ça m'intéresse)
- l' accord , partiel ou complet  (exactement ! tout à fait ) 

Certaines intensités typiques de l'expression corporelle et vocalique permettent de percevoir ces différences  .

Ainsi une large rotation de la tête de haut en bas, révèle plus explicitement notre accord qu'un discret hochement . D'ailleurs certains hochements routiniers  accompagnés accessoirement de oui .. oui ... ou hum hum (bouche fermée, articulation zéro...) reflètent seulement qu'on est à l'écoute ,ou qu'on veut en donner l'impression. 

Ces signes semi automatiques ne reflètent pas avec certitude que le message a bien décodé par son destinataire, ni a fortiori que celui-ci est d' accord . En effet, socialement, le fait de ne retourner aucun signe visuel ou acoustique d'écoute active est inattendu , voire même de nature à déstabiliser celui qui parle ( ce que font volontairement certains négociateurs). Qui plus est , dans le cas d'une relation non symétrique, celui qui est en position inférieure a peu intérêt à montrer de signes d'incompréhension : sa compétence ou sa vigilance pourraient être mises en question (ex: entretien de recrutement). 

De ce fait, les signes "phatiques" ou accusés de réception peuvent refléter seulement une intention polie. Ce comportement adaptatif a d'ailleurs été confirmé lors d'une expérience originale[1]. Les sujets écoutaient une histoire racontée par un camarade mais pour les distraire il leur était demandé d'appuyer sur un bouton lorsqu'ils entendaient certains mots.  Les signes non verbaux étaient repérés selon 3 classes   :
(1) j'entends bien ce que tu dis
(2) pour moi c'est clair, je comprends
(3) je suis d'accord

Lorsque les sujets étaient distraits à cause de la tâche d'analyse à accomplir  en parallèle (bouton) , les feed back de compréhension (classe 2) diminuaient , mais pas spécialement les signes d'écoute , voire même au contraire  (classe 1) . Un peu comme si le fait de ne pas avoir compris le message était discréditant et méritait d'être compensé par des signes de bonne réception .   Autrement dit, être un bon auditeur, ne signifie pas que l'on ait bien décodé  et compris le message . Les  signes d'accordage superficiels servent plutôt dans ce cas à rassurer l'interlocuteur , à montrer des signes de coopération et à se rassurer soi même sur la maintenance d'une bonne relation . 

Par exemple, tel étudiant au premier rang qui a du mal à suivre un cours de philo mais renvoie à l'enseignant plusieurs messages par les gestes de la tête et qui pourraient signifier selon leur intensité et fréquence :  (a) je suis très attentif , (b) ce contenu est pertinent et ça m'intéresse, (c)  je comprends de A à Z , (d) je suis bien d'accord avec votre analyse .

De même on observera que les journalistes qui interviewent une personnalité ont souvent tendance à acquiescer systématiquement pour faciliter la parole de leur interlocuteur  tandis que le contenu  même de leurs questions ou l'intonation un peu sceptique peut montrer qu'ils ne sont pas spécialement d'accord. L'accordage porte donc seulement sur les signaux suivants: (a) je suis tout ouie , (b) c'est pertinent, (c) je comprends clairement . Mais il laisse supposer au-delà  et inconsciemment une possibilité de consensus  (j'acquiesce parce que je suis d'accord ) qui encourage l'interviewé . 

Un point resterait alors à explorer: est ce que ces feintes d' approbations empathiques du journaliste n'ont aucune influence "subliminale" sur les téléspectateurs indécis et sans opinion qui regardent l'interview ?  











[1] Buschmeier  & al. ‘Are you sure you’re paying attention?’ – ‘Uh-huh’ Communicating understanding as a marker of attentiveness. Proceedings of INTERSPEECH 2011. International Speech Communication Association: 2057–2060. Document disponible sur le Web.

mercredi 11 juin 2014

Entretien de recrutement et impact des indices non verbaux

Une étude publiée par des psychologues du travail, a pour vertu de remettre en question quelques idées reçues sur l'entretien de recrutement, qui sont colportées par certains ouvrages, blogs et articles depuis des décennies. L'idée force de cette littérature de kiosque est que le candidat doit s'attendre fatalement à se faire déstabiliser par des questions piège . Cette perspective peu engageante peut ainsi entretenir chez lui un supplément d'anxiété . De fait , ces croyances entretenues pour faire de l'audience, peuvent biaiser la validité du processus de sélection en affectant la performance du postulant face à « l'adversité » .

Mais n'assiste-t-on pas aux mêmes craintes et croyances s'agissant des « signaux corporels » en recrutement ? Certaines études défendent par exemple, que les recruteurs vont se faire une première impression selon des indices corporels dès les premières minutes, puis chercher à conforter par la suite cette impression en retenant les indices mis par exemple, sur le compte de l'introversion. 

Du coup , l'apparence donnée en début de l’entretien aurait un effet décisif sur la probabilité d'être sélectionné. Admettons que fort souvent, ce sont au contraire les dernières impressions qui resteront en mémoire d'un jury (d'où l'utilité de prévoir une belle conclusion ) . D'ailleurs les meilleurs orateurs , au début d'un conférence ou d'un émission sont plus tendus comme le montre leur mimo-gestualité.

Concernant l'impact de l'image corporelle dans la prise de décision , un auteur pense que plus la communication non-verbale est à l'avant plan ( persuasion , séduction) plus elle influence les impressions du recruteur, alors que si le non verbal est « neutre », c'est plutôt le contenu verbal qui infléchira la sélection. Cela voudrait donc dire que moins on est expressif, et plus on a de chances d'être jugé sur ses qualités propres . Les recruteurs ignorent généralement quel canal d'information (verbal, non verbal) a prédominé dans leur choix. De fait le poids respectif de ces deux sources d'information dans la « balance » du jugement psycho-cognitif devrait être davantage questionné.

Sur ce thème , une étude intéressante montre l'influence des préjugés favorables sur les interactions : les recruteurs se montraient plus agréables dans leurs gestes et propos quand ils auditionnaient une personne dont le dossier préalable étaient prometteur. Dans la conduite de l' entretien , on observait qu'ils étaient plus détendus et chaleureux avec ces candidats qu'avec les autres (voix, regard, humour, disponibilité...). Ce qui déclenchait alors un effet en miroir : plus ils étaient souriants, dynamiques et bienveillants avec les personnes auditionnées et plus ces dernières étaient à leur tour interactives et physiquement engagées dans le dialogue.

Dès lors , si les recruteurs s'intéressent aux signes corporels des candidats, ils devraient aussi avoir conscience de ce qu'ils induisent à partir de leurs propres postures, sourires, moues sceptiques, froncements de sourcils, bras croisés, tapotement des doigts, etc ... En outre, la méthode par elle même de l'entretien de sélection est loin d'être une science exacte et présente une faible validité méthodologique . 

Autre biais dans l'évaluation: le candidat est censé refléter son « caractère » par des signes corporels , mimiques et postures inconscients . Mais cette interprétation peut être faussée par le face work ou travail de l'apparence : les coachs et leurs « règles d'or » lui conseillent de faire davantage de sourires,  des acquiescements empathiques, d'éviter les tics , gestes-barrière etc . Les recruteurs ont ils les compétences requises pour se livrer à un tel « test de personnalité » en fonction de la carte de visite corporelle du candidat ? Un DRH peut-être (selon sa formation) , mais un ingénieur en informatique pas forcément .

Il ressort cependant d'une multitude d'études que les recruteurs accordent tous de l'importance aux mêmes critères : le contact de regard, la fluidité verbale, le tonus corporel , le dynamisme vocal, une gestualité centrifuge plutôt qu'autocentrée. Entre autres expériences, il a été montré en séparant deux groupes de candidats (intro-extravertis) que 89 % des recruteurs souhaitent auditionner les plus souriants et dynamiques tandis que ceux qui évitaient le contact du regard, avaient un faible tonus et hésitaient beaucoup, n'était pas invités une deuxième fois. 

Enfin comme indiqué, la validité de l'entretien est contestée par une multitude d'études et méta-analyses. Entre autres à cause du manque d'homogénéité des critères. On distingue les entretiens dits structurés qui répliquent la même grille d'évaluation d'un candidat à l'autre, et les entretiens non structurés où les questions sont plus aléatoires et peuvent dériver plus facilement . Or une étude révèle que lors des entretiens non structurés (en quelque sorte improvisés) , les comportements non verbaux "à éviter" ressortent davantage que dans l'entretien structuré , plus propice au jugement objectif .

En résumé, le comportement non verbal en entretien ne doit pas être négligé par l'évaluateur en tant qu'aide à la décision , mais il devrait être regardé avec un minimum d'expertise en évitant la sur-interprétation et le décodage profane. "Ce n'est pas en observant le postulant se gratter l'œil ou la manière dont il croise ses jambes, que vous saurez ou non, s'il fait l'affaire pour le poste" disent les auteurs d'un ouvrage cité ci-dessous. 

Références

ROULIN N.  BANGERTER A. (2009)  La littérature de conseils : source de croyances populaires sur la relation recruteur-candidat lors de l'entretien de sélection ? texte en ligne 

- ouvrage des mêmes auteurs: Réussir l'entretien d'embauche comportemental. De Boeck (2012) 

T.W. DOUGHERTY  et al. (1994), Confirming first impressions in the employment interview : a field study of interviewer behavior. journal of Applied Psychology, 79/5, 659-665.

NOUKOUD A.  (2000) La communication non verbale dans l’entretien de sélection . Communication & Organisation N° 18

BARRIER G. (1999) L’entretien de recrutement : problèmes de validité et processus d’induction inter-acteurs . Communication et Organisation, n°14



mercredi 23 avril 2014

La pupille comme indice: les limites de l'observation à l'oeil nu

Nous avons déjà envisagé sur ce blog ( note 1), le rôle que pouvaient jouer les indices oculaires dans la reconnaissance des processus cognitifs ou émotionnels d'une personne : clignements des yeux, mouvements de la pupille, dilatation ou rétraction de la pupille. Ces indices font partie de la communication non verbale , mais sont plus difficiles à interpréter que les gestes et expressions faciales . Les méthodes d’observation en laboratoire et l’observation clinique ont montré cependant certaines relations entre les phénomènes oculaires et le cerveau. Mais une grande partie partie des expériences sur la pupille menées notamment en marketing sensoriel ont souffert d'un biais, celui de la variation de luminance lors de la présentation des stimuli. 

C'est un des problèmes auxquels s'est intéressé Thierry Baccino , professeur de psychologie cognitive et directeur scientifique du LUTIN, qui cumule des décennies d’observation des phénomènes oculaires derrière l'eye tracking. Hormis son expertise sur la lecture et la lecture numérique  il s'intéresse aux phénomènes attentionnels de la conduite . Entre temps, la variation du diamètre pupillaire est devenu un sujet assez populaire dans les revues et blogs de développement personnel. Il m'a donc semblé opportun de lui demander son avis sur le sujet suivant : la dilatation de la pupille permet elle d'interpréter les états d'âme d'autrui ?

J’aimerais revenir sur deux études sur la variation pupillaire dont vous êtes co-auteur  (réf. note 2) .  Dans la première les sujets ont des taches de lecture ou de calcul , dans la seconde pendant qu'ils conduisent virtuellement ils reçoivent quelques alertes sonores stressantes. Est ce que ces deux types d’expériences ont révélé des choses différentes ?

T.B. : Les deux études sont complémentaires : la première expérience s’attache à montrer comment on peut analyser le diamètre pupillaire (qui est un signal tres bruité) en décomposant ce signal et en retirant les effets qui ne nous intéressent pas ...

... Quels effets non pertinents par exemple ?
T.B. : Par exemple, l’effet de la lumière qui justifie en grande partie la dilatation pupillaire, tandis que les autres effets sont dus aux traitements cognitifs. C’est la raison pour laquelle nous avons comparé plusieurs conditions qui variaient selon l’importance de la tache (détecter des lettres est plus simple que compter mentalement,…).
La seconde expérience visait à montrer comment des indicateurs du stress pouvaient être extraits du signal pupillaire. En utilisant des techniques informatiques, nous montrons qu’une classification du niveau de stress peut être obtenue (sur une tache de conduite). L’objectif serait de pouvoir détecter en temps réel le niveau de stress d’un conducteur de manière à pouvoir lui donner des messages d’alerte.

Selon vos études les variations de la pupille semblent  infimes en durée et en amplitude . Pourtant on lit souvent qu’en l'observant à l'oeil nu, on pourrait détecter le stress  . Qu’en pensez vous ?
T.B. Non il n’est pas possible d’observer à l’œil nu la dilatation pupillaire qui serait due au stress. Cette composante est fortement mélangée avec la composante lumière et c’est la raison pour laquelle il faut trouver des méthodes pour isoler les effets lumineux. Le niveau de stress n’est que le résultat de ce filtrage de la lumière (prenez la métaphore du chercheur d’or qui tamise des tonnes de sable pour ne conserver que des paillettes d’or, au départ ce n’est que l’eau sablée).

source: International Journal of Human-Computer Interaction.  réf.  b) ci dessous

Métaphore très parlante de l'expert, laquelle inciterait donc à tempérer les "décodages" hâtifs, tout comme la figure ci-dessus . Sur ce graphe, les variations d'amplitude sont corrélées à des sons stressants et la luminance est parfaitement contrôlée. Elle montre la finesse des variations du diamètre pupillaire, exprimées en millimètres, soit un dixième de mm en pic d'amplitude ce qui n'est pas très spectaculaire à l'oeil nu … De même, sur l'échelle de temps, la variation est assez éphémère . En résumé, un phénomène d'une granularité très fine, souvent adossé à des biais de luminance, et dont l'interprétation nécessite des protocoles bien contrôlés.



(1) Articles précédents sur ce blog concernant les indices oculaires :






(2)  Référence des études citées:
  • (b) Pedrotti, M., Mirzaei, M.A., Tedesco, A., Chardonnet, J.R., Mérienne, F. & Baccino, T. (2014). Automatic stress classification with pupil diameter analysis, International Journal of Human-Computer Interaction, .30, 1-17.


 

jeudi 6 mars 2014

questions de communication : expressivité gestuelle, quels effets sur un auditoire ?





La fonction expressive du geste entretient des relations directes avec la régulation de l’attention, la persuasion, la motivation . La manière dont nous occupons l'espace gestuel dépend de critères comme la fréquence des gestes, leur tonicité , leur amplitude. Certains orateurs font des gestes larges et très visibles, tandis que d'autres contrôlent cette gestualité (par exemple en croisant les bras tout en parlant, ou bien en joignant les deux mains devant leur thorax en forme de pyramide). 

Une question au passage : ceci dépend il plus ou moins du caractère ? Rares sont les essais en laboratoire à ce sujet,  mais ils concluent que les sujets les plus éloquents semblent être les plus expansifs gestuellement . D'autres tests montrent que les personnes aux gestes les plus expansifs obtiennent les scores les plus élevés aux questionnaires d’extraversion et ascendance . Des psycholinguistiques observent également que les hésitations verbales vont de pair avec des gestes rétrécis , autocentrés et que lorsque la parole redevient plus fluide, elle s’accompagne alors de gestes plus centrifuges et larges.

Mais quel va être l’impact de l’expansivité gestuelle sur l'interlocuteur?  Cet effet visuel n'est pas linéaire. Si d'un côté une gestuelle tonique peut restimuler l’attention (tout comme les variations intonatives d’un orateur ), trop de gestes omnidirectionnels peuvent jouer un effet de distracteur . 
Voici un premier exemple:  dans cette interview Jean François Kahn développe comme souvent , des gestes amples et de grande altitude (niveau supérieur aux épaules, à la tête…) . On peut remarquer la symétrie de ces gestes, bimanuels pour la plupart. 

vidéo 1

Certains  de ses gestes sont analogiques et illustrent ainsi la parole : 

- il y a une France d’en haut, du très haut …
- un monde completement refermé sur lui-même /complètement clos/ complètement coupé 
- une bulle qui grossit 
- elle n’enveloppe qu’une petite minorité 

Par contre d’autres gestes similaires du communicateur n'ont aucune pertinence sémantique (pas de connexion avec le contenu verbal) et servent à donner de l’emphase.   Or une gestuelle ininterrompue n’exerce guère d’impact positif sur l'attention , tout comme un texte qui serait continuellement souligné.

A présent, un autre exemple de personnage  hyper-expressif est l'écrivain Daniel Picouly. Dans cet extrait  , une certaine forme de saturation visuelle s’installe qui peut capter l'attention, mais sans pour autant jouer en faveur  de la «lisibilité» du message oral:


vidéo 2

Ces gestes sont très centrifuges et  omnidirectionnels . Ils peuvent présenter quelque analogie avec le discours de l’interviewé sur la foule, le mouvement, l'émergence,  la surprise.  Mais dans ce contexte leur omniprésence peut  devenir une source de bruit et induire du partage d’attention , une instabilité du modèle mental . On compare parfois la  perception des gestes co-verbaux à une balance entre la forme et le fond,  où la parole  occupe l’avant plan et le geste l’arrière plan. Or ce rapport perceptuel forme/fond peut être inversé .

Dans la dernière vidéo suivante , plusieurs fois la caméra renvoie l'image de dos et en zoom arrière pour éviter le hors champ. En effet de nombreux gestes de l'interviewé dépassent le format de cadrage . On parle également de complexité gestuelle pour décrire ce genre de déploiement  dans l'espace gestuel qui s'appuie sur une large variété de formes  (observons également les expressions faciales de l'écrivain qui varient constamment).



vidéo 3 (fermer  la pub de TF1 pour la lire,merci)
Ces brefs exemples illustrent donc une problématique insuffisamment prise en compte en formation à la communication . Si un certain ratio d’ expansivité et de complexité gestuelle peuvent être perçus par l'auditoire comme des signes de dynamisme du communicateur, le niveau adéquat d'expressivité pourrait se situer entre les deux polarités extrêmes de la contention motrice et de son complet lâcher prise.


jeudi 9 janvier 2014

Le "langage des yeux" et la PNL: postulats invérifiés et part de réalité


Une méthode de communication très utilisée en PNL s’appuie sur les célèbres « clefs d'accès visuelles ». Selon des observations empiriques de Grinder et Bandler  cette cartographie des mouvements oculaires en 6 positions permettrait de détecter si notre interlocuteur pense à un stimulus acoustique, visuel, ou kinesthésique . Et ceci selon deux modalités :  pensée remémorée , ou bien pensée construite au moment où il nous parle.  Un modèle qui résiste au temps, en dépit de l’absence de preuves empiriques. Cette piste a d’ailleurs même questionné les experts en psychologie criminelle : si elle était valide , elle aiderait à détecter le mensonge, à l’œil nu ou par suivi numérique du trajet oculaire . En effet la rotation des yeux vers la droite est corrélée selon la PNL aux pensées construites , et  la rotation  vers la gauche au rappel des souvenirs stockés en mémoire .

Ainsi que nous l’avons déjà vu dans ce blog, quelques études ont montré que la rotation de la pupille était corrélée à l'activité cognitive . Mais selon la littérature expérimentale les 6 positions codifiées par la PNL selon le modèle VAK (visuel, auditif, kinesthésique) , ne  rencontrent pas d'évidence  neuropsychologique  robuste. La plupart des études ont été menées dans les années 80, puis après un creux de la vague, le sujet a été discuté à nouveau .  En voici un aperçu.
Lors de diverses expériences publiées par la revue Perceptual and Motor  Skills (1980, 1985 , 1985b, 1986) des sujets ont été invités à se rappeler des images visuelles, certains bruits ou sensations kinesthésiques . Les tests de Ki Deux, montraient que les trajectoires oculaires ne concordaient pas avec celles que postule le modèle VAK. Dans cette même revue (1987) une étude  signée par des expérimentateurs apparemment experts en PNL, critique ces résultats car dans la collecte des indices oculaires, ils font  abstraction du profil sensoriel typique du participant  . Une autre expérience dans le numéro d’aout 88 montre que les réponses oculaires d’un groupe d’aphasique différent de celles de sujets normaux (cf. également sur ce blog : le regard d’évitement en schizophrénie) . La cartographie en 6 points peut à tout le moins, servir de grille d’observation fonctionnelle, à défaut d’en partager les conclusions interprétatives.

A cette même époque, plusieurs études dans le Journal of Counseling Psychology . La première (1984) conclut  que le mode de représentation sensoriel VAK  identifié depuis le  mouvement des yeux, ne révèle pas dans les tests interactifs, une meilleur accordage de communication . Mais un biais de cette étude est de tester à la fois la codification des yeux et son application relationnelle. La seconde étude (1985) révèle l’absence de liaison entre les positions oculaires VAK et les consignes orales  de rappel en mémoire . Par contre la troisième(1987)  suggère que les indicateurs oculaires des modalités visuelles et auditives (mais pas kinesthésiques) sont significativement corrélés. On remarque toutefois que les juges chargés de codifier les mouvements des yeux générés par les questions étaient des experts en PNL  et non pas des « juges naifs ».


Revenons aux études actuelles, assez rares  : davantage orientée sur la détection du mensonge, l’expérience du Pr Wiseman (2012) consiste à demander à des sujets de mentir en condition A , et de dire la vérité en condition B. Sur la base de leur passage devant la caméra, leurs mouvements des yeux étaient codés selon  la typologie utilisée en PNL, mais cet étiquetage ne montrait aucune concordance significative avec la construction du mensonge. Une sous-partie de l’étude menée avec l’expert S.Porter déroulait les interviews de presse, de personnes ayant prétendu avoir été victimes de crime : les unes à juste titre, les autres  de manière démentie par le dossier judiciaire.  A l’intérieur d’un large spectre d’indices corporels observés parmi les menteurs, le modèle des mouvements oculaires ne montrait pas d’efficacité prédictive.

Enfin, l’université polytechnique de Bucarest  a élaboré récemment un  modèle automatique de reconnaissance de la direction des yeux en interrogeant les sujets selon le modèle VAK de la PNL.  Les auteurs remarquent certaines concordances , mais notent surtout qu'il y a des liaisons « subtiles » entre différentes  modalités d'activité mentale et des directions de mouvements oculaires  .  S’il parait assez peu probable d’objectiver un modèle universel de type VAK, il est indéniable que certains patterns de mouvements oculaires peuvent être remarqués  de manière stable chez des personnes quand elles  se remémorent un évènement, font du calcul mental, recherchent une date , un nom ..

En effet on remarque régulièrement en faisant passer des tests eye tracking, que l’œil des  sujets réagit différemment lors de processus cognitifs, mais avec des régularités intrinsèques à chaque personne .  En revanche lorsqu’une personne se remémore un objet, un mouvement, ses trajets oculaires ou scanpaths ont tendance à modéliser les propriétés spatiales de ce référent imaginaire. Enfin, selon la complexité du processus cognitif engagé par la question de l’interviewer (ex: croisement de données mémorielles), on remarque des trajectoires oculaires  plus ou moins complexes et non réductibles à une direction spatiale.

En résumé si le diagramme en six positions de la PNL n'a pas prouvé sa pertinence à révéler des modes sensoriels de représentation interne,  le mouvement des yeux reste un "insight" intéressant de l’imagerie mentale . Il est d'ailleurs plus facile à détecter à l’œil nu, que les variations de la taille de la pupille (cf. article sur ce blog)  . Ces réserves sur la validité du  modèle VAK ne remettent pas en question le potentiel thérapeutique de la  PNL,  ni son efficacité comme technique  pragmatique de communication.  Mais sans doute le modèle mériterait-il d’être revisité en fonction de ce que les neurosciences nous ont appris depuis les relevés cliniques de Grinder et Bandler .