blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

samedi 29 janvier 2011

Science et Vie Junior, dossier sur la CNV et la synergologie

Science et Vie Junior publiait ce mois-ci un dossier sur le thème « décodez le langage du corps » avec une enquête sur la synergologie. Ayant été contacté pour répondre à quelques questions sur ce thème  il m’a semblé intéressant de restituer le transcript de cette interview , celle-ci ayant été reflétée de manière très elliptique dans la revue .  Les points de vue suivants n’engagent que moi  (autres avis de gestualistes bienvenus)

- comment expliquez-vous l'engouement pour la recherche sur les gestes et la recherche sur la signification cachée de nos gestes?

Le non-verbal est un peu à la parole, ce que les interfaces interactives sont à l'écriture: des codes plus visuels, plus iconiques, plus en mouvement  , plus rapides, plus intuitifs,  plus émotionnels,  mais en même temps  encore plus ambigus que les mots .  On apprend à l'élève à former un imparfait du subjonctif (qu'il n'utilisera guère dans son CV ou en entretien) mais il est rare qu’il puisse se voir un jour en classe en vidéo, en train de communiquer . Conséquence : la CNV n'étant pas enseignée elle apparaît  comme un code emblématique qui  devrait donc nous livrer ses secrets.  Succès prévisible pour une  série comme " Lie to me " qui se nourrit d'un postulat : les mots peuvent être falsifiés et cacher des intentions, alors que le geste lui, ne trompe pas . A partir de là, les règles d'or de la  communication seraient tracées . 

 -   la recherche académique sur les gestes : comment la différenciez-vous de l'approche de P. Turchet ?
 La synergologie  s'intéresse surtout à la dimension inconsciente des gestes , donc  privilégie  les "extra-communicatifs" (par ex: se pincer le nez, cligner des yeux ) et évoque très rarement les gestes co-verbaux  (référentiels, iconiques, prosodiques, déictiques, synchronisateurs...). Bien sûr ,il y a l’inconscient qui parle, avec ses lapsus corporels. Mais  le geste sert aussi à ponctuer et illustrer la parole . Pointer du doigt, accentuer un mot , mimer une trajectoire , tracer en l’air des proportions, illustrer des objets du discours ou des concepts abstraits, sont des gestes qui peuvent désambiguiser le message verbal (lequel qui fait partie du  contexte d’interlocution , terme assez peu prisé en synergologie).

Autre différence, contrairement aux formations à la CNV , les recherches actuelles cherchent moins à “ décoder  le langage corporel ” qu’à  élucider la triangulation : pensée-geste-parole.  Mais elles ne se limitent pas à  la cognition , exemple les recherches sur les émotions , l’expression faciale , la voix  . En tous cas il faut être prudent avec les typologies interprétatives basées sur l’exemple (fut-il illustré par une photo très parlante) .  Si les expressions faciales peuvent être assignées à un code , largement validé, les gestes ne sont pas interprétables selon des cartographies symboliques.  Hormis dans les cas où l’iconicité est avérée (ex.  langue des signes) , développer un dictionnaire systématique des gestes s’avère imprudent.

- sait-on un peu mieux la part accordé au verbal e au co-verbal/para-verbal dans la communication inter-humaine?

Merci pour cette question,  car une légende continue de colporter que  la CNV représente 93% du sens et les mots 7%. A la base de cette extrapolation  A. Merhabian, qui écrivait que le récepteur d’une message parlé , éprouve   7% d’intérêt pour les mots , 38% pour l’intonation vocale et 55% pour l’expression faciale. Ce pourcentage « viral » a été cité des milliers de fois. On oublie de dire que l'auteur a relativisé ses propres chiffres : son expérience concernait seulement des situations à tonalité affective et sans sujets masculins, menées en 1967, avec du matériel rudimentaire,. Aujourd'hui on a des moyens techniques plus fidèles de savoir ce qui est perçu par les « récepteurs » et 7% pour les mots ne résiste pas un instant à l’analyse.

- les détracteurs de la synergologie estiment qu'il ne s'agit pas d'une approche scientifique , qu’en pensez vous ?  

Scientifique, empirique ? ce serait plutôt à des épistémologues de le dire en fonction des méthodes inductives constatées . J’objecterais simplement pour ma part qu’en théorie de l’information, un indice n’a pas la même valeur qu’un signal . L’indice a besoin  d’un contexte pour produire une hypothèse de sens , alors que le signal entretien une correspondance directe avec le code. Or, on a le sentiment que tout est pris pour signal dans la théorie synergologique . Les synergologues devraient rendre plus visible le corpus sur lequel ils ont élaboré leur théorie et leurs méthodes d'évaluation .  Les recherches « académiques » en laboratoire supposent des confrontations constantes entre résultats , publiés dans des revues avec calculs à l’appui , sous condition de recevabilité par des comités d’experts extérieurs au labo de l’auteur . Mais peut -être est-ce le signe d’une tendance nouvelle, une synergologue a soutenu une thèse à l'Université de Lausanne, il serait intéressant qu'elle soit publiée .
- Que pensez-vous de la manière dont la synergologie appuie ses théories sur des études de neuro-imagerie (cerveau droit/gauche/cerveau reptilien etc) ?

Prisées par la synergologie, la  théorie du cerveau tri-unique de Mc Lean et la spécialisation des hémisphères  de  Sperry (à la base de grandes découvertes cliniques ) ont rapidement séduit le monde de la communication  et du marketing car elles permettaient une compréhension synthétique des compétences cérébrales (cf. Herrmann)  . Tout est affaire d’exégèse :  le risque est d’extrapoler ces découvertes en cartographies corporelles , et  de construire une table de correspondances  rattachant tout segment corporel expressif à une compétence « controlatérale » du cerveau.

- Avez-vous des points précis sur lesquels vous n'êtes pas d'accord?

 Un exemple : la synergologie privilégie les gestes innés, avec une réticence à examiner les gestes qui varient d'une culture à l'autre, incorporés par mimétisme . Quelle proportion d’universalité trouverait-on dans les gestuelles des peuples ? le ratio doit être très élevé, personne ne l’a encore calculé. Mais il n’y aura pas que des archétypes:  l’observation montre que le regard mutuel, les postures et distances  interpersonnelles, la culture du  toucher, peuvent varier d'une culture à l’autre. Autres pistes montrées par les psychologuistes : les gestes métaphoriques d’abstraction, connectés sur le niveau lexical et syntaxique selon un modèle de représentation typique à une  langue (cf.  les études sur les  métaphores gestuelles du japonais, du turc , de l’anglais…).  Autres traits différentiels,  les gestes emblèmes ( Ekman en dénombre 250 en Israel ) , ou encore les gestes de pointage qui empruntent des formes ethniquement variées.  On observe aussi  selon les cultures des déclinaisons motrices (amplitude , tempo, fluidité,  tonicité, soudaineté, etc) qui peuvent modifier la  connotation du geste reçu par l’individu exogène … voire même le déranger . Pour différentes raisons il semble plus juste de  parler d’interculturalité , terme qui reconnaît la dimension transversale des signes mais sans effacer la richesse des particularités culturelles : les médias visuels s’en chargent déjà avec la mondialisation de l’image et le mimétisme des communicateurs.