blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

mercredi 23 avril 2014

La pupille comme indice: les limites de l'observation à l'oeil nu

Nous avons déjà envisagé sur ce blog ( note 1), le rôle que pouvaient jouer les indices oculaires dans la reconnaissance des processus cognitifs ou émotionnels d'une personne : clignements des yeux, mouvements de la pupille, dilatation ou rétraction de la pupille. Ces indices font partie de la communication non verbale , mais sont plus difficiles à interpréter que les gestes et expressions faciales . Les méthodes d’observation en laboratoire et l’observation clinique ont montré cependant certaines relations entre les phénomènes oculaires et le cerveau. Mais une grande partie partie des expériences sur la pupille menées notamment en marketing sensoriel ont souffert d'un biais, celui de la variation de luminance lors de la présentation des stimuli. 

C'est un des problèmes auxquels s'est intéressé Thierry Baccino , professeur de psychologie cognitive et directeur scientifique du LUTIN, qui cumule des décennies d’observation des phénomènes oculaires derrière l'eye tracking. Hormis son expertise sur la lecture et la lecture numérique  il s'intéresse aux phénomènes attentionnels de la conduite . Entre temps, la variation du diamètre pupillaire est devenu un sujet assez populaire dans les revues et blogs de développement personnel. Il m'a donc semblé opportun de lui demander son avis sur le sujet suivant : la dilatation de la pupille permet elle d'interpréter les états d'âme d'autrui ?

J’aimerais revenir sur deux études sur la variation pupillaire dont vous êtes co-auteur  (réf. note 2) .  Dans la première les sujets ont des taches de lecture ou de calcul , dans la seconde pendant qu'ils conduisent virtuellement ils reçoivent quelques alertes sonores stressantes. Est ce que ces deux types d’expériences ont révélé des choses différentes ?

T.B. : Les deux études sont complémentaires : la première expérience s’attache à montrer comment on peut analyser le diamètre pupillaire (qui est un signal tres bruité) en décomposant ce signal et en retirant les effets qui ne nous intéressent pas ...

... Quels effets non pertinents par exemple ?
T.B. : Par exemple, l’effet de la lumière qui justifie en grande partie la dilatation pupillaire, tandis que les autres effets sont dus aux traitements cognitifs. C’est la raison pour laquelle nous avons comparé plusieurs conditions qui variaient selon l’importance de la tache (détecter des lettres est plus simple que compter mentalement,…).
La seconde expérience visait à montrer comment des indicateurs du stress pouvaient être extraits du signal pupillaire. En utilisant des techniques informatiques, nous montrons qu’une classification du niveau de stress peut être obtenue (sur une tache de conduite). L’objectif serait de pouvoir détecter en temps réel le niveau de stress d’un conducteur de manière à pouvoir lui donner des messages d’alerte.

Selon vos études les variations de la pupille semblent  infimes en durée et en amplitude . Pourtant on lit souvent qu’en l'observant à l'oeil nu, on pourrait détecter le stress  . Qu’en pensez vous ?
T.B. Non il n’est pas possible d’observer à l’œil nu la dilatation pupillaire qui serait due au stress. Cette composante est fortement mélangée avec la composante lumière et c’est la raison pour laquelle il faut trouver des méthodes pour isoler les effets lumineux. Le niveau de stress n’est que le résultat de ce filtrage de la lumière (prenez la métaphore du chercheur d’or qui tamise des tonnes de sable pour ne conserver que des paillettes d’or, au départ ce n’est que l’eau sablée).

source: International Journal of Human-Computer Interaction.  réf.  b) ci dessous

Métaphore très parlante de l'expert, laquelle inciterait donc à tempérer les "décodages" hâtifs, tout comme la figure ci-dessus . Sur ce graphe, les variations d'amplitude sont corrélées à des sons stressants et la luminance est parfaitement contrôlée. Elle montre la finesse des variations du diamètre pupillaire, exprimées en millimètres, soit un dixième de mm en pic d'amplitude ce qui n'est pas très spectaculaire à l'oeil nu … De même, sur l'échelle de temps, la variation est assez éphémère . En résumé, un phénomène d'une granularité très fine, souvent adossé à des biais de luminance, et dont l'interprétation nécessite des protocoles bien contrôlés.



(1) Articles précédents sur ce blog concernant les indices oculaires :






(2)  Référence des études citées:
  • (b) Pedrotti, M., Mirzaei, M.A., Tedesco, A., Chardonnet, J.R., Mérienne, F. & Baccino, T. (2014). Automatic stress classification with pupil diameter analysis, International Journal of Human-Computer Interaction, .30, 1-17.