blog proposé par Guy Barrier

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Guy Barrier, expert en communication non verbale - publications et activités: pointer la photo

dimanche 15 mars 2015

le visage et l'expressivité des musiciens


On parle peu de la gestuelle et des expressions faciales des musiciens. Le corps à corps exercé sur l'instrument (variations de pression , de fluidité, de saccades, d'amplitude et d'emphase) peut être tantôt discret, ostensif , fougueux , pathétique, et ces variations hautes et basse d'intensité se lisent dans les mouvements gestuels, dans les tensions, relâchements, légères crispations de muscles expressifs . Moins complexes gestuellement, les mouvements de tête ou battements de pieds reflètent le tempo mais ne relèvent pas directement des émotions de l'artiste. 



Le cas du violoniste est intéressant par sa visibilité puisque l'instrument et le visage sont en étroite proximité. Les variations acoustiques (fréquence sonore, volume, staccato, etc) se projettent de façon très sensible dans les coups de tête,  les mouvements des sourcils , les inflexions des coins des lèvres tandis que la mélodie franchit les suraigus ou que les "attaques" de notes se font plus saccadées . Puis les mimiques se convertissent encore lorsque le flux s'apaise allegro ma non troppo  avant de se reconvertir plus gravement en mode mineur . On cite parfois parmi les virtuoses dont l'expression d'empathie avec leur propre production sonore est presque excessive,  Janine Jansen , Mitsuko Uchida , Daniil Trifonov ... Mais le répertoire d'exemples étant illimité limitons nous à  quelques cas de figure.  




Du côté des bois ou les cuivres tels que les saxophonistes, trompettistes...  les muscles inférieurs du visage sont déjà accaparés par le jeu instrumental , donc les inflexions des sourcils sont prévalentes . Parmi les virtuoses comme Miles Davis ou Charlie Parker le visage est souvent imperturbable en dépit de la prouesse mais dans des pics d'intensité les paupières se ferment encore davantage sur les yeux déjà mi-clos comme en adoration . Dans les pentes les plus aigues le muscle intersourcillier se contracte et peut être plus encore chez le trompettiste.  Dans un autre registre du jazz, Richard Galiano est sans doute l'accordéoniste le plus expressif . Il joue aussi très souvent les yeux mi-clos ou fermés en fusion totale, les mimiques du visage inférieur changent constamment  et sont ponctuées par des moues qui rentrent les lèvres à l'intérieur et projettent un peu le menton en saillie  , tandis que du haut du visage émanent des expressions pathétiques, ou encore stoiques dans les tangos argentins de Piazzola
.




Mais une classe de mimiques spéciale est celle des mimiques de concentration des musiciens dans les périodes de forte tension cognitive et motrice  autrement dit lors de passages particulièrement difficiles. L'auditeur sensible au non verbal, apercevra dans ces phases critiques des mouvements d'élévation des sourcils , la contraction du corrugator enter les sourcils  et tout une série de patterns qui déforment visuellement la bouche par des mouvements de flexion inférieure ou latérale, de pression forte des lèvres l'une sur l'autre ,mais aussi parfois de micro expressions et divers patterns en forme de "tics d'expression" 

Certains critiques voient dans ces figures mi tourmentées mi extatiques, une rupture de la continuité esthétique  car après tout objectent ils, on est dans le domaine du sublime et du parfait : ainsi l'artiste ne devrait rien partager des contorsions mentales ou motrices que l'oeuvre exigeante lui impose . C'est aussi ce que préconisent certaines écoles instrumentales et formateurs, par exemple la célèbre technique FM Alexander  préconise l’autocontrôle "pour ne pas gâcher les sensations du spectateur ", elle recommande de paraître  "stoïque" plutôt que de laisser transparaître les marques de l'effort: L'élève recommande-t-on, devrait exprimer sa joie et le plaisir d'être performant  plutôt que d'induire dans les neurones du spectateur, des sensations négatives . A l'inverse sur le forum de Violonist.com , d'autres musiciens qui se sont vus en vidéo disent qu'il n'est pas possible d'avoir un visage de joueur de poker lorsqu'on est au summum de la difficulté. Sur ce forum un violoniste  déclare qu'il est plus performant s'il laisse faire son visage et son corps plutôt que de chercher à les contrôler.  Pour peu qu'on  quitte le domaine de  la musique classique , on peut voir par exemple un Carlos Santana mâcher consciencieusement son chewing gum dans certains solos ce qui permet à la fois de réguler le stress, et d'éviter la formation de patterns faciaux trop visibles . 

Ce thème autour des patterns régulateurs ou gestes de confort nous ramène fortement vers des problématiques de l'expression orale où les locuteurs se demandent s'il vaut mieux croiser les mains et éviter les gestes parasite (et finalement ne sachant pas  trop ce qui les caractérise ainsi on élimine les gestes tout court)  . Comme le note un autre contributeur  du forum  Violonist.com, on "joue mieux quand on bouge que lorsqu'on reste figé". Cette remarque de bon sens n'est  pas sans rappeler les théories fondamentales du geste (1) qui ont révélé la notion de charge cognitive pendant la parole et le besoin afférant de mouvements de confort  et réassurance  .



(1) La communication non verbale , J Cosnier , A. Brossard & al. (1973). Delachaux et Niestlé.