Dans le dialogue, nous retournons de temps en temps à notre interlocuteur
certains hochements de tête qui peuvent être accompagnés de feed back verbaux (oui, hum , d'accord... ) .
Ces signes visuels et acoustiques, ont pour but de permettre d'apprécier l'accordage entre deux interlocuteurs : est ce que le message est reçu 5 sur 5 ? Si oui, est on sur la même longueur d'onde ? Nous verrons que ces signes qui sont censés lever l'incertitude et éviter les incompréhensions sont à vrai
dire, assez ambigus .
A vrai dire, les gestes de la tête verticaux peuvent signifier sur une échelle progressive :
- l'attention pure et simple que chaque partie accorde à l'autre (j'écoute)
- le décodage et la compréhension des paroles échangées (je comprends)
- l'intérêt éprouvé envers ses propos, la valeur qu'on leur attribue (ça m'intéresse)
- l' accord , partiel ou complet (exactement ! tout à fait )
Certaines intensités typiques de l'expression corporelle et vocalique permettent de percevoir ces différences .
Ainsi une large rotation de la tête de haut en bas, révèle plus explicitement notre accord qu'un discret hochement . D'ailleurs certains hochements routiniers accompagnés accessoirement de oui .. oui ... ou hum hum (bouche fermée, articulation zéro...) reflètent seulement qu'on est à l'écoute ,ou qu'on veut en donner l'impression.
Ces signes semi automatiques ne reflètent pas avec certitude que le message a bien décodé par son destinataire, ni a fortiori que celui-ci est d' accord . En effet, socialement, le fait de ne retourner aucun signe visuel ou acoustique d'écoute active est inattendu , voire même de nature à déstabiliser celui qui parle ( ce que font volontairement certains négociateurs). Qui plus est , dans le cas d'une relation non symétrique, celui qui est en position inférieure a peu intérêt à montrer de signes d'incompréhension : sa compétence ou sa vigilance pourraient être mises en question (ex: entretien de recrutement).
De ce fait, les signes "phatiques" ou accusés de réception peuvent refléter seulement une intention polie. Ce comportement adaptatif a d'ailleurs été confirmé lors d'une expérience originale[1]. Les sujets écoutaient une histoire racontée par un camarade mais pour les distraire il leur était demandé d'appuyer sur un bouton lorsqu'ils entendaient certains mots. Les signes non verbaux étaient repérés selon 3 classes :
(1) j'entends bien ce que tu dis
(2) pour moi c'est clair, je comprends
(3) je suis d'accord
Lorsque les sujets étaient distraits à cause de la tâche d'analyse à accomplir en parallèle (bouton) , les feed back de compréhension (classe 2) diminuaient , mais pas spécialement les signes d'écoute , voire même au contraire (classe 1) . Un peu comme si le fait de ne pas avoir compris le message était discréditant et méritait d'être compensé par des signes de bonne réception . Autrement dit, être un bon auditeur, ne signifie pas que l'on ait bien décodé et compris le message . Les signes d'accordage superficiels servent plutôt dans ce cas à rassurer l'interlocuteur , à montrer des signes de coopération et à se rassurer soi même sur la maintenance d'une bonne relation .
Par exemple, tel étudiant au premier rang qui a du mal à suivre un cours de philo mais renvoie à l'enseignant plusieurs messages par les gestes de la tête et qui pourraient signifier selon leur intensité et fréquence : (a) je suis très attentif , (b) ce contenu est pertinent et ça m'intéresse, (c) je comprends de A à Z , (d) je suis bien d'accord avec votre analyse .
De même on observera que les journalistes qui interviewent une personnalité ont souvent tendance à acquiescer systématiquement pour faciliter la parole de leur interlocuteur tandis que le contenu même de leurs questions ou l'intonation un peu sceptique peut montrer qu'ils ne sont pas spécialement d'accord. L'accordage porte donc seulement sur les signaux suivants: (a) je suis tout ouie , (b) c'est pertinent, (c) je comprends clairement . Mais il laisse supposer au-delà et inconsciemment une possibilité de consensus (j'acquiesce parce que je suis d'accord ) qui encourage l'interviewé .
Un point resterait alors à explorer: est ce que ces feintes d' approbations empathiques du journaliste n'ont aucune influence "subliminale" sur les téléspectateurs indécis et sans opinion qui regardent l'interview ?
[1]
Buschmeier & al. ‘Are you sure
you’re paying attention?’ – ‘Uh-huh’ Communicating understanding as a marker of
attentiveness. Proceedings of INTERSPEECH 2011. International Speech
Communication Association: 2057–2060. Document disponible sur le Web.