Pour de nombreux commentateurs le moment le plus fort du débat d’entre deux tours des présidentielles en France est la fameuse séquence dite « moi président » . Durant ce choc entre deux prétendants , chacun critique non seulement le programme de son adversaire, mais sa personnalité même : présomption d’autoritarisme que manifeste Hollande à propos de Sarkozy et présomption d’incompétence que ce dernier fait peser sur son adversaire socialiste.
Venons en à la séquence . Jusqu'alors Laurence Ferrari a laissé transparaitre devant les caméras une dizaine de sourires ébaubis lors des répliques les plus pugnaces des orateurs, tout en se montrant encore plus inefficace que D. Pujadas pour arbitrer les coupures de paroles. Elle passe ici à un rôle plus assertif et lance la question sur « quel style de président ? », avant de se tourner d’abord vers Sarkozy à qui elle demande s’il envisagerait le cas échéant, de continuer à gouverner différemment .
|
source: bigbrowser.blog.lemonde.fr/ |
Visiblement cette question n’est pas attendue avec impatience par le président sortant. Tandis que Hollande déroulera une structure rhétorique parfaite, Sarkozy révèle par quelques phrases laconiques ou hors sujet qu’il n’était pas préparé : il s’aggripe à un stylo , la tonalité générale reflète l’inconfort :
-une dizaine de mouvements spasmodiques agitent les épaules et les coudes
- l’extrémité de la langue vient humecter les lèvres deux fois, avec micro-contact de l'index sous la paupière (récurrent chez l'ex-président)
- le regard reflète le besoin d’échapper à l’emprise adverse : il est fléchi vers le bas , la tête est fléchie ou détournée vers D. Pujadas.
F. Hollande est prêt alors à décliner une longue tirade adossée à une quinzaine d’anaphores structurée autour du segment "Moi président de la république …" . Il ouvre en préambule sur une figure en forme de
chiasme : "Moi président (…) , je ne serai pas
le chef de tout et en définitive
responsable de rien " . Droit sur son siège, port de tête en légère flexion arrière et regard ascendant, bras ostensivement fermés , Hollande fixe avec gravité son interlocuteur. Le réquisitoire prend de la hauteur . Métaphore d’un procès historique ? «
3 minutes 20 pour venger 5 ans d’humiliation » écrira le Nouvel Observateur . Le futur perdant , singulièrement mis à l'index, n'esquisse pas la moindre interruption pour tenter de défaire la belle régularité de l’anaphore adverse. Visiblement estomaqué par l’envolée de celui dont il avait déclaré quelques semaines auparavant : « Hollande est nul et ça commence à se voir » .
Alors que dans la plus grande partie de l’émission la partie inférieure du visage de Hollande était resté neutre, ici un élément de contraste modifie la sémiologie faciale au cours de quatre phrases: la flexion légère des coins de bouche vers le bas (action du muscle facial triangularis, dite Unité d'Action 15 du
FACS ) . Classiquement le pattern UA 15 est transversal à plusieurs émotions négatives (déplaisir, tristesse, dégout …) mais dans ce contexte il présente une forte contiguïté avec la configuration UA 14 dite par Ekman
dimpler et corrélée à l’outrage , au mépris , au dédain . A plusieurs reprises après avoir littéralement regardé de haut son adversaire, menton relevé, Hollande
prolonge la mise à distance en détournant son regard , lèvres pressées de manière formelle, les yeux mi-clos ...
|
UA 15 ( Facial Action Coding System, Paul Ekman) |
|
Dimpler - source: peakoiblues.org |
La mélodie vocale à présent: les 14 premières phrases de cette section , s'achèvent sur une baisse des intonations plongeant vers les basses. Ceci permet d’accentuer la tonalité formelle des énoncés, leur gravité même . A l'opposé les dernieres phrases montrent des intonations montantes (milieu et fin de phrases), et une fréquence fondamentale plus orientée dans les aigus . Une prosodie vocale cohérente : après avoir fustigé ce qui est de l'ordre du passé en mode mineur et voix grave (premières phrases) , l'orateur oriente ses propos vers l'avenir et module le ton.
Lors d'une interview donnée le lendemain , Hollande a mentionné que ce moment fort du match avait été improvisé. Hypothèse qui ne résiste pas à l'observation . On remarque une forte différence de fluence verbale entre la séquence suivante et le verbatim intégral du "Moi président" : Moi Président, euh, j’aurai à cœur de ne pas avoir le statut pénal du chef de l’état . Je le ferai réformer de façon à ce que euh si des
actes antérieurs à ma prise de fonction venaient à être contestés je puisse euh,
dans certaines euh conditions, me rendre euh à la convocation de tel ou tel magistrat euh ou m'expliquer euh devant euh un certain nombre euh d'instances . Cette séquence dont la syntaxe est plus complexe, est ponctuée de 8 marques d’hésitation en forme de "euh .." en l’espace de 18 secondes soit environ 5 fois plus que durant le Moi Président intégral qui dure 3’20.
Le contraste d'hésitations très élevé, caractérise à l'évidence une séquence non apprise et impliquant davantage de charge cognitive. D'ailleurs c'est le seul moment du fameux "moi Président" où le regard de l'orateur se baisse, à deux reprises vers ses notes.
Ceci inspire une question adjacente : les marques faciales péjoratives qu'on avait analysées auparavant , ont-elles été également pensées à l’avance ou étaient elles spontanées ? Seul l’orateur lui-même, son conseiller en communication ou son miroir , le savent vraiment...
______________________
Les 4 occurences faciales, dont 3 macro-expressions et une micro-expression: (source TF1)
|
"...dans un hôtel parisien"(1). |
|
"chaines de TV publiques"(2) |
|
"..exemplaire" (3) |
|
"...sera paritaire" (4) |